Enfant endormi (L')

"Un village isolé du Sud marocain, près de Taourirt. Au lendemain d'une noce, les hommes quittent leurs foyers. Ils partent vers un hypothétique ailleurs, pour gagner de l'argent.

En 2000 la cinéaste tunisienne Moufida Tlatli avait déjà réalisé un très beau long métrage, LA SAISON DES HOMMES, sur le thème de l'exil des travailleurs du Maghreb en direction de l'Europe. Sur ce même thème la réalisatrice belgo-marocaine Yasmine Kassari a tourné un film différent, à la fois plus poétique et métaphorique, plus classique aussi, en s'attachant prioritairement à deux figures de femmes que l'on sent, au fil du temps, de plus en plus abandonnées et glisser vers la résignation et la tristesse.

Zeinah vient donc de se marier, son mari est parti et elle découvre très vite qu'elle est enceinte. Selon une tradition (ou un mythe?) elle décide, avec l'aide d'un vieillard doté de pouvoirs magiques, d'""endormir"" l'enfant jusqu'au retour de l'époux. L'absence sera longue, les nouvelles quasi inexistantes. Seuls circuleront, par cassettes vidéo, quelques messages et quelques tristes images de discours embarrassés, signes avant-coureurs de ruptures déjà consommées.

A côté de Zeinah il y a Halimi, sa sœur mariée, qui a deux enfants. Son mari aussi est parti, mais elle n'admettra pas une situation dont semblent s'accommoder toutes les autres femmes du village. Halimi est une figure combattante, en contrepoint de celle de Zeinah. Une destinée différente, mais sera-t-elle meilleure?

Dans L'ENFANT ENDORMI, métaphore d'un temps suspendu, d'une attente sans espoir, Yasmine Kassari filme avec talent l'exil vu du côté de celles qui restent: ""Peu m'importe, dit-elle, si l'endormi est un mythe ou une réalité. Il s'agit d'une pratique sociale née de l'adaptation des individus à des réalités souterraines et secrètes qui se sont constituées à travers le temps. Des expériences qui s'accumulent, se sédimentent et finissent par se cristalliser en manières culturelles. Ce qui m'a intéressée dans l''endormi', c'est sa capacité métaphorique. J'ai voulu que l'endormi agisse dans ce film comme un point lumineux qui éclaire la situation de ces femmes restées seules au pays face à l'absence de leurs hommes et à la promesse non tenue de leur retour, révélant leurs situations d'impasse, leurs attentes, leurs espoirs, leurs limites, leurs possibilités de repli sur soi ou de sortie... Une sorte de point virtuel qui révèle l'actuel.""

Sachant prendre le recul nécessaire pour dire, sans pathos, la solitude de deux femmes en quête de liberté, la cinéaste signe ici un premier film d'une grande sensibilité et très bien maîtrisé.





Yasmine Kassari: de nationalité belge et marocaine, Yasmine Kassari est née en 1970. Chargée de production, scénariste et réalisatrice, elle a collaboré entre autres à l'écriture du scénario du film de Jean-Jacques Andrien LE SILENCE D'ALEXANDRE. Elle a réalisé d'autres courts métrages et documentaires, en particulier QUAND LES HOMMES PLEURENT (2000)."