Terre et cendres

Affiche Terre et cendres
Réalisé par Atiq Rahimi
Pays de production France, Afghanistan
Année 2003
Durée
Genre Drame
Distributeur Bodega Films
Acteurs Abdul Ghani, Jawan Mard Homayoun, Walli Tallosh, Chahverdi Guilda
Age légal 10 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 482
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Le vieux Dastaguir est assis sur un pont, au bord de la route, son petit-fils Yassin à ses côtés. Autour de lui un paysage afghan désolé: un pont à moitié démoli, une rivière asséchée en contrebas, des montagnes pelées au loin et une longue route poussiéreuse qui se perd à l'horizon. Un autre chemin conduit à la mine de charbon de Karkar (le long de la route qui relie le nord de l'Afghanistan à Kaboul), une mine qui est la destination lointaine et redoutée de Dastaguir. Le vieillard a entrepris ce voyage à contrecœur: il doit aller annoncer à son fils Mourad (le père de Yassin), qui travaille à la mine, que leur village a été bombardé et que sa femme, sa mère et sa fille ont été tuées. Une lourde tâche pour le vieil homme qui hésite à poursuivre sa mission, déchiré qu'il est entre sa propre peine, sa solitude et les codes de l'honneur ancrés dans son esprit. En chemin, il croisera différents étrangers: un gardien mal luné dans sa guérite, un marchand étonnamment philosophe dans une petite échoppe, une mystérieuse femme voilée qui ne cesse d'attendre on ne sait quoi, à l'ombre d'un tank éventré, et d'autres victimes d'un conflit qui se poursuit et dont on entend les rumeurs et les explosions hors champ.

TERRE ET CENDRES, c'est toute la catastrophe d'une guerre. L'égarement de toute une génération perdue se lit dans les yeux du vieillard, tandis que le regard troublé de l'enfant interroge l'avenir. Le pont lui-même se situe entre les deux berges d'une rivière, séparant et réunissant à la fois deux mondes différents, le passé et le présent, l'attente et le voyage, la mort et la vie. Un passé qui ressurgit de façon fragmentaire, sous forme de flash-back, dans l'esprit des personnages et qui renforce encore leur angoisse.

TERRE ET CENDRES c'est encore un film sur la lumière, celle du jour, omniprésente et écrasante, celle du soir, ocre et chaude, celle de la nuit enfin, avec ses dominantes grises et angoissantes. Un film qui accorde aussi une place importante au son et aux bruits, qui donne à chaque décor sa respiration et sa ponctuation musicale. Des sons qui prennent d'autant plus d'importance qu'ils sortent du silence, un silence qui exprime l'univers de Yassin, devenu sourd à la suite du bombardement de son village. Description forte - en même temps que retenue - de la tragédie quotidienne d'un Afghanistan meurtri par la guerre, TERRE ET CENDRES, premier film du réalisateur afghan Atiq Rahimi (auteur du roman éponyme), est une œuvre importante, belle et remarquablement maîtrisée.



Antoine Rochat





Une œuvre très belle sur le destin d'un homme qui incarne à lui seul le destin tragique de l'Afghanistan. Atiq Rahimi signe ici son premier long métrage en adaptant son roman éponyme publié en 2000.

Dastaguir (Abdul Ghani), accompagné de son petit-fils Yassin (Jawan Mard Homayoun), descend péniblement d'un camion. Autour de lui un paysage désolé, un pont à moitié démoli, une rivière asséchée, un long chemin qui monte à l'horizon. Ce chemin conduit à une mine, destination redoutée du vieil homme. Il a entrepris ce voyage pour voir son fils qui y travaille. Il doit lui annoncer que son village a été bombardé et sa famille décimée. Mais comment en avoir la force? Il est déchiré entre sa propre peine, sa solitude et la peur de rencontrer son fils. En attendant durant des heures un moyen de transport, il croise plusieurs étrangers, avec en toile de fond un conflit invisible mais omniprésent.

TERRE ET CENDRES se présente comme une méditation émouvante dans un paysage afghan si beau, mais profondément marqué par la guerre. La dramaturgie se construit dans un espace réduit: un pont, avec d'un côté une guérite et de l'autre une échoppe. La guérite abrite un gardien arrogant surveillant l'entrée de la piste conduisant à la mine, l'échoppe est tenue par une sorte de philosophe généreux et serein. Dastaguir va passer vers l'un, vers l'autre au gré des longues attentes d'un camion providentiel ou de la surveillance de Yassin - devenu sourd lors du bombardement -, enfant insouciant. Le pont est le passage abîmé et aléatoire reliant un village dévasté que le vieillard vient de quitter et la mine qu'il doit rejoindre. Ce lieu symbolise tous les croisements, entre un présent troublé, un passé traumatisant qui resurgit en flash-back, et un futur proche angoissant, entre les membres restants d'une famille qui cherchent désespérément à communiquer.

Le film est tourné en cinémascope, ce qui accentue l'horizontalité des paysages et donne un impact à la fois grandiose et minimaliste qui incite à la contemplation, mais aussi fait ressortir la solitude des personnages. Et pour suggérer la compassion, la souffrance, l'angoisse ou la persévérance du vieil homme, le réalisateur fait jouer les symboles et les correspondances. Comme la palette des lumières et des ombres, les tonalités des ocres ou des noirs de la terre et des cendres, ou le rouge du modeste baluchon, viatique pour le voyage, ou les reflets de cette tabatière avec miroir - un cadeau de son fils -, ou encore comme la bande sonore émouvante faite de silences, de sons naturels, de musiques instrumentales.

Mais tout l'art d'Atiq Rahimi est de faire sentir l'épaisseur humaine de ses personnages, avec sobriété: l'indicible trouve à se dire dans une surprenante discrétion qui passe parfois par la légèreté d'un regard ou d'un nuage de poussière. Dastaguir, interprété avec une remarquable intensité, semble nous adresser ce chant final: ""Chacun à sa façon me brise le cœur, je n'ai rien à dire, à part demander pourquoi.""

TERRE ET CENDRES, première œuvre td'un réalisateur afghan, est une réussite. Pas étonnants ces nombreux prix et récompenses de par le monde, dont le ""Prix du regard vers l'avenir"" au Festival de Cannes 2004.



Claudine Kolly"

Ancien membre