Forget Baghdad

Affiche Forget Baghdad
Réalisé par Samir
Pays de production Suisse
Année 2002
Durée
Musique Rabih Abou-Khalil
Genre Documentaire
Distributeur Eurozoom
Acteurs Jennifer Peedom
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 456
Bande annonce (Allociné)

Critique

FORGET BAGHDAD est un documentaire d'un grand intérêt et parfaitement maîtrisé dans sa forme, très originale. A travers les existences de quatre communistes irakiens d'origine juive (nés à Bagdad) qui ont dû quitter leur patrie d'origine et s'établir en Israël ou à l'étranger, le film se présente comme une réflexion riche et passionnante.

Cinéaste né lui-même à Bagdad (en 1955) et fils d'émigrés irakiens établis en Suisse depuis les années 60, Samir s'intéresse depuis des années aux questions d'identité, d'intégration ou d'aliénation des communautés juive et arabe. Son film, primé à Locarno l'an dernier, a reçu plusieurs autres distinctions. Il a été présenté (hors concours) au récent Festival de Fribourg, en même temps que le film israélien de David Benchetrit KADDIM WIND (qui a obtenu le Prix du documentaire et qui aborde lui aussi le problème du retour d'autres juifs - marocains cette fois - en Israël).

Les quatre juifs arabes (ou judéo-arabes) de FORGET BAGHDAD racontent leurs vies. Ils ont connu des destinées pour le moins particulières. L'un d'eux, Shimon Ballas, a été nommé professeur d'arabe dans les Universités de Tel-Aviv et de Haïfa. Il milite dans le mouvement des droits civiques en faveur des Palestiniens. Un autre, Sami Michael, a d'abord fui en Iran avant de s'installer à Haïfa. Diplômé en psychologie et en littérature arabe de l'Université de cette ville il a écrit plusieurs best-sellers. Le troisième, Moshe Houri, a émigré en Israël en 1951. Riche entrepreneur immobilier et propriétaire d'une chaîne de kiosques, il habite maintenant dans un quartier central d'une banlieue de Tel-Aviv. Il continue à voter communiste et se sent juif à cent pour cent. Quant à Samir Naqqash, il est l'un des derniers écrivains judéo-arabes à écrire en langue arabe (or un juif qui écrit en arabe n'est pas lu en Israël...) Son œuvre témoigne d'une forte résistance personnelle au processus de socialisation imposé aux juifs arabes dans son pays.

Tous les quatre ont été contraints de quitter l'Irak et leur intégration en Israël a été difficile. Communistes, on les regardait avec méfiance. Etiquetés mizrahim (juifs arabes), ils furent la cible des sefardim (juifs d'origine européenne) et de l'idéologie sioniste.

Une cinquième personnalité occupe une place importante dans cette enquête filmée. Née de parents juifs irakiens, Ella Habiba Shohat, actuellement professeur à l'Université de New York, est l'une des principales activistes mizrahim. Dans une de ses études, elle se livre à une vive critique du sionisme et de l'eurocentrisme, en regard de la situation des juifs d'origine arabe. Spécialiste aussi de l'histoire du cinéma du Proche-Orient, ses analyses sur l'orientalisme dans les films occidentaux servent de référence dans les instituts d'études cinématographiques. La présence dans FORGET BAGHDAD de cette brillante universitaire engagée ajoute à l'évocation des destinées des quatre hommes un prolongement socio-culturel très important.

Il faut vite préciser que, malgré la complexité du sujet, le film est parfaitement lisible: FORGET BAGHDAD ne s'encombre pas de didactisme, ni de jugements sommaires, encore moins de prosélytisme. Ce documentaire se présente au contraire comme un voyage dans le temps et l'histoire, comme une trajectoire à la fois sérieuse et teintée d'humour. La très grande qualité du film tient en effet dans l'originalité d'un commentaire visuel de tous les instants: l'écran est le plus souvent partagé en deux et toutes les remarques des intervenants, tous les souvenirs qu'ils évoquent sont accompagnés d'images des ciné-journaux de l'époque, d'anciennes photographies, de scènes tirées de films de fiction orientaux (égyptiens, irakiens, israéliens) ou hollywoodiens, images surgies d'ailleurs et s'insérant harmonieusement, qui en contrastes, qui en contrepoints, constituant ainsi des collages inattendus, tantôt drôles, tantôt tragiques, confirmant ou infirmant les propos tenus en même temps par les interlocuteurs. Il en résulte un mélange de cultures, d'images, d'émotions et de sentiments rarement présentés avec autant de tact et de tolérance, de sensibilité et d'humanisme dans un documentaire de ce genre.

Un film qui devrait contribuer à ouvrir, espérons-le, une nouvelle fenêtre sur l'Histoire. Pour mieux comprendre, avec un regard nouveau, les événements politiques d'une autre culture.

Antoine Rochat