L'édito de Anthony Bekirov - Un Ours d’argent dont le silence est d’or?

Le 20 septembre 2023

Le monde du cinéma est ébranlé (encore) par de nouvelles accusations de comportements problématiques. Cette fois, c’est Philippe Garrel, 75 ans, célèbre cinéaste français et surtout lauréat de l’Ours d’argent de la Meilleure réalisation à la Berlinale 2023 pour son film Le Grand Chariot qui sort la semaine prochaine chez nous et que nous couvrons dans les pages de ce numéro. Cinq comédiennes ont témoigné dans Mediapart de tentatives de baisers non consentis et de propositions sexuelles lors de rendez-vous professionnels - qui ne concernent toutefois pas le tournage du Grand Chariot. Le cinéaste a reconnu, à demi-mot, les faits, et s’est excusé en précisant: «À la lecture de tous ces témoignages, je réalise la différence entre ce que j’imaginais alors et ce que je leur ai fait vivre. J’avais déjà pris conscience de la culture qui m’a façonné, et cela a ouvert en moi une remise en question.» Ces témoignages surviennent, semble-t-il, au moment où le film sort en salle, façon sans doute de profiter de la vague de popularité pour que ces voix soient mieux entendues. Le critique de cinéma se trouve alors comme très souvent confronté à un dilemme: faut-il parler du film comme si de rien n'était? ou faut-il le condamner unanimement comme le reflet d’un personnage corrompu? La réponse est en vérité plus subtile. Car nous ne croyons pas que l’objet «film» soit une entité abstraite flottant dans un éther esthétique pur. Un film c’est aussi tout le contexte social qui l’entoure et qu’il brasse avec lui. À l’inverse, la censure est une forme comme une autre de propagande idéologique qui dicte au peuple ce qu’il doit penser en rendant invisibles les problèmes existants dans la société. La solution est donc dans le dialogue. On peut analyser les films de Leni Riefenstahl uniquement sous l’angle technique; mais il faut parler du contexte dans lequel ils ont été produits (le 3e Reich). Critiques, journalistes et personnes dotées d’une voix publique se doivent d’expliquer pourquoi telle ou telle œuvre pose problème, et donner les clés aux spectateurs pour qu’ils puissent comprendre les enjeux. Autrement dit, pour que leur regard soit instruit et conscient. L’on peut évidemment leur laisser le choix de condamner. Mais que cette condamnation émane d’une réflexion critique, argumentée, vers laquelle les médiateurs culturels - que nous sommes entre autres - se doivent de diriger les spectateurs. Si donc Le Grand Chariot figure dans nos pages, c’est aussi avec le caveat des scandales qui entourent la personnalité de son réalisateur.