L'édito de Anthony Bekirov - Trop de Capitaines Cooks

Le 05 avril 2023

Dans son court-métrage de diplôme de 1989 Too Many Captain Cooks, la réalisatrice et anthropologue australienne Penny McDonald filme Paddy Fordham Wainburranga, un blackfellow, Aborigène d’Australie qui conte pour nous l’histoire du capitaine Cook. Pour les Occidentaux, le capitaine Cook est cet aventurier anglais qui a découvert l’Australie au 18ème siècle. Pour les Aborigènes, le capitaine Cook est venu d’outre-mer pour leur voler leur patrimoine, qui n’avait pas besoin d’être « découvert » pour exister. En même temps qu’il nous parle, à nous spectateurs blancs occidentaux, Paddy peint ce qu’il raconte. Non pas, comme il dit, « l’histoire du capitaine Cook d’il y a 200 ans, mais du capitaine Cook d’il y a million d’années ». Dans la cosmologie des blackfellows, le temps est en spirale et ses strates se superposent les unes sur les autres. Ainsi, les événements du « passé » intersectent avec les événements du « présent » et conséquemment, du « futur ». Le capitaine Cook est devenu une figure mythologique, son voyage maritime est devenu un mythe fondateur dans lequel il prend la place d’une divinité ambivalente. En 20 minutes, Paddy et la réalisatrice nous mettent face à nos fantasmagories de colons. Non seulement Paddy remet les Aborigènes au centre de l’histoire, mais il joue également avec ce que le spectateur occidental moyen attend de lui : chanter, se peindre en blanc, exécuter un rituel…La curiosité scientifique de l’Occident, aujourd’hui encore même parmi les promoteurs les plus engagés du « décolonialisme », à fâcheuse tendance à idéaliser les spécificités des communautés pour en discerner « l’intérêt » ou « l’importance » voire « l’étrangeté », sans jamais se rendre compte que nous sommes aussi des étrangetés aux yeux des autres, sans jamais nous rendre compte que leur histoire n’a pas à être écrite par nous, et que ces communautés n’ont aucun devoir de mémoire envers quiconque. À méditer donc, grâce à ce court-métrage facilement regardable, mais malheureusement trop souvent cantonné aux cours d’anthropologie et non aux cours d’histoire du cinéma.