L'édito de Sabrina Schwob - Subjectivité au pluriel

Le 22 août 2019

A la lecture d’un article paru dans le 20 Minutes sur Space Dogs (Elsa Kremser, Levin Peter), film présenté dans la catégorie «Cineasti del Presente» de la présente édition du Locarno Film Festival, on s’étonne des arguments convoqués pour justifier le jugement extrêmement négatif du film. Pour ne mentionner que le premier: «Je n’aime pas les chiens». Bien que l’expérience d’un film dépende en effet beaucoup d’éléments personnels, de notre imaginaire propre, permet-elle pour autant d’accepter n’importe quel argument? Si cette première étape d’appréciation nous apparaît essentielle, il l’est tout autant d’asseoir son jugement sur la convocation d’éléments formels afin de pouvoir rencontrer l’expérience d’autres spectateurs et identifier la place construite, au moment de la réalisation du film, d’un spectateur «idéal».

Face à plusieurs films présents dans ce numéro se pose la même question: comment dans un récit à valeur autobiographique ou se concentrant sur des parcours de vie singuliers, les faits racontés peuvent-ils non forcément rencontrer l’expérience du spectateur (qui peut tout à fait ne pas aimer les chiens), mais l’impliquer dans le récit narré? Un documentaire comme Debout échoue par exemple dans cette entreprise en faisant abstraction des conditions de vie difficiles d’individus, tels que les condamnés à mort. Le yoga permettrait, dans le discours du film, de bien vivre en prison.

À l’inverse, d’autres œuvres, qui n’en sont pas moins personnelles parviennent à rencontrer l’enthousiasme du public. C’est le cas notamment de Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais, film constitué d’un commentaire autobiographique apposé à une série de séquences de films et visionné à la Berlinale cette année (CF n. 807), de Diego Maradona, documentaire basé sur des archives et qui retrace la vie de cet icône du football; ou encore Madame, de Stéphane Riethauser, qui alterne entre des images d’archives sur sa jeunesse et des images actuelles pour relater son parcours, avec comme point nodal son coming out, et le parcours de sa grand-mère, qui malgré son époque et les difficultés rencontrées a réussi à mener la vie qu’elle voulait. Un film dramatique d’Éric Baudelaire séduit aussi grandement en donnant la caméra à des enfants du collège Dora Maar à Saint-Denis qui mettent en scène leurs interrogations, leurs doutes, leur quotidien le plus banal… Aussi différents soient-ils dans leur forme, ces films, comme une grande partie des films présentés à Locarno et dont nous vous proposons un aperçu dans ce numéro, associent à ces parcours de vie un contexte familial, social, économique ou politique permettant une meilleure compréhension des actes individuels et élargissant la perspective du spectateur sur le monde.

Sabrina Schwob