Retour sur le NIFFF 2023

Le 23 août 2023

Le Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) est un rendez-vous estival incontournable pour tout·e fan de cinéma de genre. Cette année, à l’occasion de sa 22e édition, qui s’est déroulée du 30 juin au 8 juillet, il nous a proposé 159 projections en présence de 122 invité·e·s. Avec une fréquentation toujours croissante et des chiffres dépassant le record pré-coronavirus, il y a de quoi se réjouir pour l’avenir de cet événement aussi passionné que passionnant. En attendant, voici un tour d’horizon des œuvres qu’une partie de la rédaction de Ciné-Feuilles a eu l’occasion de découvrir lors de cette cuvée 2023. À noter que certains films projetés à Neuchâtel ont déjà été abordés précédemment (L’Ultima Notte di Amore, voir CF n. 896 / Perpetrator, voir CF n. 896 / Tropique, voir CF n. 895 / Vincent doit mourir, lauréat du Méliès d’argent du meilleur long métrage fantastique européen, voir CF n. 901 / Mad Heidi, voir CF n. 889) et ne seront donc pas traités une nouvelle fois ici.


Asian Competition


Sur le papier, 2 h 30 de loups-garous à la sauce Bollywood ne peuvent qu’être réjouissantes. Hélas, à l’écran, le résultat est décevant. Malgré un premier tiers réussi, Bhediya (Amar Kaushik, Inde, 2022) sombre dans un récit répétitif au message écolo simpliste (la nature reprenant ses droits face au projet d’une nouvelle route censée la traverser). Les poncifs du genre sont au rendez-vous, contrairement au rire, à l’inventivité ou aux effets visuels de qualité. Dommage.


Killing Romance (Lee Won-suk, Corée du Sud, 2023) commence de manière prometteuse, tel un film de Wes Anderson sous acide dénonçant la violence du patriarcat de la société coréenne. Malheureusement, cette comédie qui se veut déjantée et engagée ne tient pas sur la longueur et étire ses gags potaches de telle sorte à ce qu’ils perdent leur fraîcheur. Pire, en ridiculisant le personnage d’un mari brutal et violent, elle relativise la gravité de son comportement et finit par embrasser la cause qu’elle entend dénoncer.


Third Kind


Dans Frontières (Guy Edoin, Canada, 2023), une maisonnée familiale essentiellement féminine vit avec crainte la paranoïa qui envahit l’une d’entre elle: Diane. Jouant sur l’absence du patriarche du clan, disparu récemment, et les manifestations inexpliquées, le scénario, qui compte malheureusement des longueurs et même quelques incohérences, emmène le spectateur dans un univers intrigant et presque insulaire. Malgré une esthétique assez télévisuelle, ce film sait nous plonger dans un monde rural résolument sombre peuplé de mal-être, d’une certaine mélancolie, et d’armes à feu. Il sait également proposer quelques scènes au caractère comique qui permettent d’introduire des respirations bienvenues dans ce climat tendu.


Pétrie de nostalgie 80s et d’inspiration spielbergienne, UFO Sweden (Crazy Pictures, Suède, 2022) est une œuvre que ne renierait pas le J. J. Abrams des débuts. Persuadée que la disparition de son père est d’origine extraterrestre, une adolescente va s’allier à un groupe de marginaux attachants et fans d’ovni pour tenter de percer ce mystère. Avec un rythme entraînant assorti d’un joli message sur l’acceptation de soi, cette réalisation est une lettre d’amour aux personnes allant au bout de leur passion.


Imaginez qu’un employé de bureau plaque sa vie professionnelle pour réaliser son rêve de gosse: devenir un catcheur professionnel. C’est la promesse alléchante de Sattar (Abdullah Al-Arak, 2022), comédie tout droit débarquée d’Arabie saoudite. Le film a le mérite de nous transporter dans le quotidien de la classe moyenne saoudienne, une démarche pour le moins exotique et dépaysante. Mais c’est tout ce qu’on retiendra de ce film à l’humour répétitif et peu inspiré.


When It Melts (Belgique/Pays-Bas, 2023) est une adaptation du livre Het smelt de l’autrice belge Lize Spit. Réalisé par Veerle Baetens (notamment connue en tant qu’actrice pour son rôle dans Alabama Monroe de Felix Van Groeningen), le film alterne entre deux périodes de la vie de son personnage principal, Eva. L’enfance ensoleillée où les jeux entre amis vont bon train (jusqu’à un point de non-retour glaçant) et l’âge adulte où les traumas font surface. Très bien écrite et portée par de superbes interprètes, une œuvre marquante de cette 22e édition du festival.


Ultra Movies


Après le génial Beyond The Infinite Two Minutes (Japon, 2023), Junta Yamaguchi explore à nouveau le concept de boucle temporelle avec River. Alors que son film précédent était un vent de fraîcheur débordant d’inventivité, le réalisateur japonais reprend exactement les mêmes codes du temps qui bégaie en plan-séquence. Plus longue et moins originale, une œuvre néanmoins inédite qui devrait contenter les personnes découvrant l’univers du cinéaste.


Un rencard trop parfait, tel aurait pu être le titre alternatif de Good Boy (Viljar Bøe, Norvège, 2022), comédie noire scandinave dans laquelle une étudiante fait la rencontre d’un riche héritier, beau, attentionné et affublé d’un drôle de compagnon: une personne déguisée en chien et qui tient à se faire traiter et à se comporter intégralement comme le meilleur ami de l’homme. Ce film dérangeant au postulat tout droit sorti d’un court métrage tient pourtant la longueur dans ses deux premiers actes avant de retomber dans un cinéma de genre plus téléphoné lors de son final.


Film de «baston» dans le sillage de The Raid, Farang (France, 2023) est une honnête série B qui vaut surtout pour ses scènes de combat et sa dernière demi-heure complètement enragée. Dommage que le réalisateur Xavier Gens s’embarrasse d’un scénario aussi balourd et assez long.


Des étudiants partent fêter leur diplôme dans une cabane isolée au fond de la forêt lituanienne. Si ce synopsis semble le point de départ idéal pour un slasher aux éclaboussures de chair estudiantine, Pensive (Jonas Trukanas, Lituanie, 2022) s’écarte quelque peu de ce postulat simpliste pour virer dans une horreur folk qui, sans transcender le genre, est un bon défouloir pas complètement stupide. On passera donc les ficelles narratives grossières pour se contenter d’un satisfaisant film de festival.


À propos de cabane dans les bois, Evil Dead Rise (Lee Cronin, Nouvelle-Zélande/Irlande/USA, 2023) fait prendre un nouveau décor à la mythique saga en l’emmenant dans un immeuble de Los Angeles, où un vinyle maudit libère les forces maléfiques du Necronomicon ex mortis. Face à cet opus annoncé comme étant le plus subversif et gore de la franchise, force est de constater que toutes les promesses ne sont pas remplies. Celui-ci n’en reste pas moins dénué de choc et de charme, prouvant qu’après The Hole In The Ground, Lee Cronin est un réalisateur à suivre.


Female Trouble


Avec sa première partie très dérangeante, Piggy (Carlota Pereda, Espagne/France, 2022) promettait un spectacle cathartique pour les personnes s’étant déjà faites harceler pour leur physique, à l’instar de l’héroïne de ce film, victime de moqueries cruelles en raison de son surpoids. Malheureusement, la suite ne va pas assez dans l’extrême. On aurait en effet aimé un traitement plus ambivalent de la situation, en particulier lorsqu’un tueur en série s’invite à la fête et offre une possibilité de vengeance à la protagoniste. Un manque de radicalité qui nous laisse sur notre faim…


International Competition


Lauréat du Prix H. R. Giger «Narcisse» du meilleur film, Tiger Stripes (Malaisie, 2023) est une réalisation d’Amanda Nell Eu. Pour son premier long métrage, la cinéaste malaisienne aborde la période de la puberté de la jeune Zaffan. Mêlant folklore local et thématiques importantes, le film ne se prive pas d’un second degré revigorant et, s’il perturbe dans un premier temps par son traitement monstrueux du changement que subit l’étudiante, finit par nous emporter dans cette rage de laisser s’exprimer son corps. Un prix mérité donc.


Après le jouissif X, le réalisateur Ti West retrouve sa nouvelle muse Mia Goth avec Pearl (USA, 2022), qui ne rend cette fois-ci pas hommage aux films des années 1970 mais à l’âge d’or hollywoodien. Désespérée à l’idée de croupir dans la ferme familiale, la jeune femme éponyme, qui rêve de célébrité et de paillettes, va tout faire pour réaliser son rêve, quitte à en venir aux mains (et à la hache). Moins radical que son prédécesseur (dont il est le prequel), Pearl, avec son ambiance grinçante et ses pointes d’humour, n’en est pas moins efficace, jusqu’à un final grandiose. Conquis, le Jury international a décidé de lui remettre l’Imaging The Future Award, récompensant le meilleur production design.


Pour un film nommé Superposition (Karoline Lyngbye, Danemark, 2023), cette trame narrative se révèle finalement bien plate et sans profondeur, ni aucune tension. Les prémices étaient pourtant prometteuses: un couple ayant décidé de s’isoler dans la forêt pendant un an avec leur enfant découvre que d’autres personnes (qui leur ressemblent étrangement) sont également de la partie. Malheureusement, le soufflé retombe presque immédiatement, la faute peut-être au caractère infect des personnages, qui empêche de s’y attacher et donc de se soucier de leur sort. Le Jury international n’a cependant pas partagé cet avis et lui a accordé une Mention pour le Prix H. R. Giger «Narcisse» du meilleur film…


Hollywood avait su adapter les nouvelles de Philip K. Dick en reprenant leurs concepts géniaux mais en réinventant leurs intrigues initiales, ces dernières étant souvent de simples enquêtes policières. Le cinéma tchèque ferait bien de s’en inspirer. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre originale et non pas adaptée, Restore Point (Robert Hloz, République tchèque/Slovaquie/Pologne/Serbie, 2023) ressemble en tout point à une nouvelle de Dick, sans réinvention de la trame. Dans un futur proche, il est possible de restaurer sa conscience dans un corps de rechange au cas où une mort accidentelle nous frapperait. On y suit une enquêtrice qui poursuit un mystérieux terroriste menaçant les fondements de ces restaurations. Le film policier prend malheureusement trop le pas sur l’idée de dissociation entre corps et conscience.


Le home swapping vous a-t-il déjà tenté·e? Si oui, vous reconsidérerez certainement votre réponse après avoir vu The Cuckoo’s Curse (Mar Targarona, Espagne/Allemagne, 2023), qui met en scène deux jeunes amoureux espagnols décidant d’échanger leur appartement contre la maison d’un couple allemand plus âgé pour les vacances. Même si plutôt prévisible et peu révolutionnaire, ce film parvient à convaincre en explorant la peur de la perte de l’intimité sous toutes ses facettes et en offrant un épilogue des plus satisfaisants.


Placer la monstruosité et l’horreur au même plan que les violences sociales, voilà qui caractérise le petit manuel de tout auteur d’elevated horror. Force est de constater que les réalisateurs de Piove (Paolo Strippoli, Italie/Belgique, 2022) et It Lives Inside (Bishal Dutta, USA, 2023) ont bien décliné leur intention. Dans le premier, une vapeur fétide contamine les habitants de Rome est les transforme en zombies violents, capricieux et égocentriques. On suit une famille endeuillée qui traverse cet épisode apocalyptique dans la capitale italienne. La réalisation est très soignée, le casting magnifique et les personnages originaux et intéressants. L’articulation entre le drame familial et la catastrophe apparaît comme bancale au premier abord mais se révèle finalement étonnamment touchante. Dans le second, on côtoie une ado littéralement écartelée entre les valeurs de sa famille indienne et celles de la société américaine dans laquelle elle évolue. La situation est classique, mais le réalisateur maîtrise les codes de l’horreur, en ne sombrant pas dans l’effet grotesque. Sa créature monstrueuse est une véritable réussite.


Dans Animalia (Sofia Alaoui, Maroc/France/Qatar, 2023), c’est aussi l’histoire d’une femme qui ne se retrouve pas à sa place, propulsée dans la haute société bourgeoise marocaine. Une mystérieuse invasion extraterrestre va lui faire prendre conscience de l’artificialité de sa situation et surtout, du terrible instrument de pouvoir que peut être la religion. Cette production marocaine s’illustre autant par la beauté impressionniste de ses images que par le courage de son propos. On lui pardonnera donc facilement l’évolution quelque peu abrupte de son personnage principal.


Structuré autour du poème Le Fardeau de l’homme blanc de Rudyard Kipling, Raging Grace (Paris Zarcilla, Grande-Bretagne, 2023) est une fable acerbe et très réussie, critiquant la colonisation des Philippines par la Grande-Bretagne sur fond d’horreur gothique, avec un manoir hanté par les fantômes du racisme et de l’appropriation culturelle. Ce huis clos oppressant et surprenant a fait l’unanimité auprès de son audience, puisqu’il s’est vu décerner le Prix NIFFF de la Critique internationale, le Prix de la Jeunesse ainsi que le Prix RTS du Public!


Amandine Gachnang, Noémie Baume,

Marvin Ancian, Blaise Petitpierre


Courts métrages internationaux


Comme à son habitude, le NIFFF a proposé son lot de courts métrages dont six faisaient partie du programme international. Forcément éclectique.


Dans A Calling. From The Desert. To The Sea (Murad Abu Eisheh, Jordanie/Allemagne, 2022) une jeune fille devenant femme part avec sa mère pour rejoindre la mer. C’est sans compter sur le monstre qui rôde dans les montagnes s’érigeant sur le parcours. En 17 minutes et 3 parties (comme l’indique son titre), un court métrage joliment réalisé même si trop confus pour convaincre pleinement.


Dans un tout autre registre, La Pursé (Gabriel Nóbrega, Brésil, 2022) est un film d’animation qui narre les pérégrinations d’un chat famélique car laissé à l’abandon par sa vieille maîtresse. La mort du félin sera l’occasion d’une vengeance macabre et jouissive. Une très belle réalisation, techniquement irréprochable, qui aura eu le mérite de faire rire son public grâce à son humour noir caustique.


Une sélection de courts métrages a l’avantage de permettre des micro-siestes. Grandement plus soporifiques que les films les précédant, The Blue Hour (Jeremías Segovia, Uruguay, 2022) et Carrion (Yvonne Zhang, USA, 2022) auraient été une belle opportunité de recharger les batteries. Le premier tente d’instaurer une atmosphère anxiogène au crépuscule lorsqu’un homme observe étrangement une femme s’accordant un bain dans la mer. Une ambiance bleutée qui tombe à plat sans raconter grand-chose. Le second, quant à lui, narre la visite d’un fantôme à une mère et sa fille. Empreint de mysticisme poétique, c’est surtout l’ennui qui prend le dessus. Sans conteste le court le plus décevant de la série.


Déjà découvert lors du Festival de Gérardmer de cette année (voir CF n. 895), La Machine d’Alex (Mae Le Mée, France, 2022) est un film aux influences oscillant entre Cronenberg et Ducournau. Dans celui-ci, Alex, une adolescente particulièrement douée, étudie la biomécanique automobile, cette technologie futuriste où les éléments d’un moteur sont faits de chair artificielle et offrent des plaisirs insoupçonnés. Intrigant, malgré un final abrupt et légèrement décevant.


Enfin, Se dit d’un cerf qui quitte son bois (Salomé Crickx, Belgique, 2023) aura permis de terminer cette sélection de courts métrages internationaux en beauté. Dans un petit village belge, c’est le jour de la mue annuelle, une tradition pour assurer le renouveau idéologique de la société. Autrement dit, éliminer à partir d’un certain âge une tranche de la population aux idées dépassées. Forcément grinçante, cette comédie ne se prive pas de tirer à balles réelles et, par la même occasion, de faire rire autant que réfléchir.


Marvin Ancian