L'édito de Sabrina Schwob - Réels au prisme du documentaire suisse

Le 02 juin 2021

Les films suisses fleurissent sur nos écrans depuis la réouverture des salles fin avril. Les documentaires particulièrement, qui constituent la majeure partie de la production nationale depuis les années 1990 (en 2020, seules 16 fictions ont été produites sur une totalité de 79 films).

Dans ce numéro, et le précédent, les documentaires réfléchissent les problèmes majeurs des sociétés occidentales. Notamment avec le sujet de l’immigration, qui se déploie sous différentes formes. Il est saisi frontalement dans Samos, The Faces Of Our Border, confrontant le spectateur à l’horreur des conditions de vie dans les camps de réfugiés, tandis que d’autres choisissent de l’aborder indirectement, via le parcours singulier de protagonistes. Leur trajectoire est alors déterminée par leur statut de migrant, que ce soit par la menace d’être renvoyé (Il mio corpo, Réveil sur Mars), de vivre dans des conditions précarisées (Journal intime), ou de mourir sans que personne ne s’en soucie, pour le moins durant un temps (Vaches sur le toit). De la cuisine au parlement aborde quant à lui un autre sujet brûlant qu’est l’égalité entre hommes et femmes.

Bien que les préoccupations affichées apparaissent similaires entre plusieurs de ces documentaires, la manière de les aborder diffère radicalement. Certains jouent avec des codes généralement réservés à la fiction, comme Vaches sur le toit, par l’enquête policière qui est menée sur la mort de Nikola ou Il mio corpo qui reprend des éléments du western. De la cuisine au parlement construit un discours par le montage d’archives, tout en accordant une place essentielle aux entretiens, tandis que Journal intime propose une forme d’autobiographie collective, en fonction de déterminations socio-économiques. Finalement, comme affirmé dans le précédent édito, de même que dans la fiction, il y a une construction et une appréhension des événements qui peuvent proposer une manière de sentir, de voir ou de dire originale. C’est peut-être ainsi, plus qu’en prétendant enregistrer le réel sans avoir d’impact sur celui-ci en retour, qu’une reconfiguration du cadre de nos perceptions, pour reprendre des termes chers à Jacques Rancière, est possible.