L'édito de Anthony Bekirov - Quand le divertissement ne divertit plus

Le 08 mars 2023

L’élitisme consiste à refuser à des productions jugées populaires le privilège d’être appréciées, étudiées voire d’exister au même titre que d’autres œuvres jugées supérieures pour des raisons arbitraires et liées uniquement au statut socio-économique du spectateur – lisez : le bourgeois en quête de reconnaissance. Le populisme, au sens noble, consiste à éduquer les populations afin de leur dire qu’elles méritent mieux que les œuvres qui les prennent pour des vaches à lait.

Dans le cas de Ant-Man 3 que j’avais « chroniqué » dans le dernier numéro, mon dédain ne tient pas du tout à un élitisme qui opposerait les blockbusters au « vrai cinéma » d’auteur, mais à un profond souci démocratique envers les spectateurs à qui on soumet ce genre de propositions dont le seul but est d’engranger un maximum de profit avec un minimum d’effort, au mépris total de l’intelligence de qui a le déplaisir de devoir les regarder. Quick n’ dirty dit-on en anglais – vite fait mal fait. Et ces productions cinématographiques, dont le Marvel Cinematic Universe fait partie, portent en elles un danger car leur but n’est pas tant de divertir que de contribuer aux inégalités de classes, à la transmission de symboles obsolètes provenant d’époques marquées par l’oppression des minorités. Malgré plus d’une décennie de remises en question des constructions médiatiques hollywoodiennes, Ant-Man 3 nous est servi sur un plateau qui ressasse sans aucune vergogne les poncifs d’un gentil blanc américain qui combat un grand méchant noir au nom douteux de Kang, aux côtés de faire-valoir féminins tout juste bons à crier et s’émouvoir des prouesses sexuelles de leurs collègues masculins (on en veut pour témoin cette scène aberrante entre Michelle Pfeiffer et Bill Murray). Ce type d’images est assurément apprécié d’un certain public, mais qu’on ne nous fasse pas croire que le « divertissement » est innocent.

Mais au-delà de la question des représentations, le bât blesse aussi au sujet de ce que les sociétés de production pensent des consommateurs. Réalisé sans soin devant des écrans bleus baveux sur un scénario mille fois remâché, le film a été conçu non pas pour plaire mais pour ameuter et financer le prochain. Au moyen d’une efficace campagne publicitaire, les producteurs savent très bien comment manipuler les opinions et les goûts du public pour leur faire croire qu’ils ont envie d’aller voir ce film. Ces producteurs ne vendent même pas un film, mais une illusion, de celles qui visent à soulager le travailleur moyen de sa semaine de labeur en lui faisant miroiter des paradis artificiels dans lesquels on l’encourage à dépenser son pécule afin d’échapper à la réalité productiviste qui lui a été imposée par les mêmes structures sociétales responsables de ces médias. Système pervers donc qui tient en otage émotionnel le spectateur en lui donnant l’onguent pour la plaie dont il est l’auteur. L’on se rend compte alors à quel point la subjectivité n’appartient pas aux individus mais est une denrée facilement manipulable par les circuits économiques.