Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) - 2-10 juillet Périple aux quatre coins du cadre fantastique

Le 26 août 2021

Harcelée par des conditions sanitaires terriblement défavorables à l’ensemble des activités culturelles, la 20e édition du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) en présentiel était encore incertaine à quelques semaines de son commencement.


Il me faut alors adresser mes premières félicitations aux membres constituant du NIFFF, car il m’aurait été impossible de m’apercevoir de ce dernier fait si l’on ne me l’avait pas dit, tant toutes les séances et interventions s’enchaînaient avec fluidité. Réfugié dans les salles de cinéma, j’ai assisté pour la première fois à ce festival en m’intéressant aux différentes lignes éditoriales: de la Compétition internationale au New Cinema from Asia en passant par les Films of the Third Kind et autres courts métrages, j’ai pris part à une petite dizaine de projections. Dès lors, une question doit être posée: qu’est-ce que le cinéma fantastique?


Pour le néophyte que je suis, il désigne les films entrant dans le cadre de genres cinématographiques bien particuliers: la science-fiction, l’horreur, le film de super-héros ou encore de magie. Ces derniers genres sont facilement identifiables car ils font appel à des figures visuelles facilement identifiables: le vaisseau chromé trahit la science-fiction, le monstre dégoulinant traduit l’horreur, le masque étincelant situe le super-héros. Pour le dire rapidement, le cinéma fantastique veut à tout prix s’émanciper des limites contraignantes du réalisme. Mais alors, dans quelle visée s’éloigne-t-on du réel pour se laisser aller au rêve, à la folie, à l’anarchie? Cette distance ne peut-elle pas être comprise comme une tentative déguisée pour critiquer ou analyser le réel?


Suivant la piste de cette dernière question, un film de la Compétition internationale me vient en tête: Tides, du réalisateur suisse Tim Fehlbaum. Comme bon nombre de récits de science-fiction, ce film est un «détour poétique»1 car il choisit de se projeter dans le futur pour parler du présent. En son centre, Blake (Nora Arnezeder), une jeune femme vivant sur une exoplanète à la suite d’une terrible catastrophe écologique. Le récit commence alors que ce personnage retourne sur Terre pour déterminer si la vie peut à nouveau y être possible. Ce parcours lui permettra de renouer des liens avec son passé.


Tides est une œuvre rafraîchissante et rare au sein du cinéma suisse. Tout d’abord car c’est un film de genre, mais aussi car son esthétique et son scénario n’évoquent rien de suisse. On est ici face à un film de science-fiction à la Roland Emmerich (ce dernier est d’ailleurs un des producteurs du film) avec une bande-son originale, des scènes d’action, un montage rapide, des acteurs plus ou moins connus et des dialogues anglais. Or, passé l’émoi premier, on prend vite conscience des manquements: cet extraterrestre est plus précisément une chimère, une sorte d’œuvre composite qui ne cherche qu’à ressembler à d’autres films dystopiques. Les décors et paysages, ainsi que de multiples idées scénaristiques, sont directement sortis des Mad Max de George Miller (réalisés dans les années 80 pour la trilogie originale) ou encore de Waterworld (Kevin Reynolds, 1995). Là où les thèmes abordés, qui s’intéressent aux problèmes surgissant de l’infertilité humaine et naturelle, sont une quasi-redite de ceux des Fils de l’homme (Alfonso Cuarón, 2005). Tides est l’un de ces films que l’on oublie rapidement après le visionnage car il ne nous fait pas réfléchir. Il semble choisir des questions liées à la crise climatique et à la pollution uniquement pour leur potentiel esthétique et narratif. Autrement dit, pour faire des beaux plans et voir de jolies scènes d’actions. Censé nous noyer dans le sable et nous ensevelir dans une humide puanteur, ce long métrage s’avère être apaisant, un bel objet facile à regarder. Car les codes de représentations ici à l’œuvre évoquent directement ceux des films Netflix ou autres productions à gros budgets contemporains. Un récit faussement politique et éminemment manichéen, baigné dans une esthétique aseptisée: Tides est bien loin du rêve fantastique.


De ces problématiques esthétiques émerge un autre film de la Compétition, grand gagnant du Prix Narcisse H.R. Giger: Lapsis, de Noah Hutton. Ce long métrage coche toutes les cases du récit dystopique à la Black Mirror, entre autres une narration qui choisit, à nouveau, le futur comme opportunité pour mieux parler du présent, et plus précisément pour critiquer le rapport que l’on y entretient à la technologie. Ici, Ray (Dean Imperial) accepte un nouveau job dont il a besoin pour payer les frais liés à la maladie de son frère. Critique parfois intéressante du néocapitalisme, de l’ubérisation du marché du travail et de ses multiples dérives, Lapsis rate aussi sa cible, et si l’on passe outre sa fin bâclée, ce sont surtout les traits visuels de ce long métrage qui m’ont questionné. À coups de cinémascope, de courtes focales, de petites profondeurs de champs et d’éclairages à multiples sources lumineuses, Lapsis ressemble aussi énormément à un blockbuster - soit une cristallisation du cinéma en tant qu’industrie, en tant que machine à faire de l’argent. Alors, peut-on réellement se vouloir critique d’un système alors que l’on en arbore méticuleusement l’esthétique? Car la narration n’est jamais seule histoire d’une œuvre cinématographique: sa forme en raconte une autre. Ici le contenu relate des injustices, des volontés de faire autrement puis une rébellion. Mais la forme nous raconte tout ce qu’il y a de plus conformiste, normé et industriel, tout ce qui ne nous mènera jamais vers un changement. Ces esthétiques léchées et autres schémas narratifs programmatiques se retrouvent, malheureusement, dans de nombreuses autres œuvres du festival.


En fait, l’une des impressions que j’ai le plus souvent eue dans les salles du NIFFF, c’est que les films ne se permettaient l’extraordinaire, l’émancipation du réel et de ses normes de représentation qu’au début du récit. Passé ce moment initial, les éléments visuels et narratifs semblaient être mis en œuvre comme pour s’excuser de leur dimension fantastique. On choisit une esthétique léchée, aseptisée, convenue, et un schéma narratif respectant avec assiduité le schéma en trois actes, comme pour ne pas trop malmener l’audience et ne pas la sortir de sa zone de confort. Alors, ces films «à moitié fantastiques» sont-ils le résultat, la faute, de la personne chargée de la réalisation ou de celle chargée de la production?


Quoi qu’il en soit, pour des films comme King Car (Renata Pinheiro, 2021) et Wild Men (Thomas Daneskov, 2021) - un film brésilien, l’autre danois - le résultat est frustrant. Car tous deux promettent de développer leurs récits autour de thèmes tout à fait passionnants - d’un côté le rapport de plus en plus problématique des humains à la technologie, de l’autre la masculinité en crise et la confrontation toujours plus sévère entre culture et nature - mais finissent par oublier leurs thèmes originaux au profit du développement d’une intrigue basée sur des ressorts on ne peut plus connus. Les voitures qui parlent du long métrage brésilien ne sont alors qu’une occasion pour voir des gangs s’affronter, là où le film danois et son quarantenaire parti vivre dans la nature d’un jour à l’autre tourne rapidement au film policier. En outre, ces films semblent se ranger d’eux-mêmes dans des cases facilitant leur lisibilité, comme pour ne pas trop déranger.


La question de la responsabilité des producteurs me sera aussi bien souvent venue en tête lors de la projection des courts métrages suisses, car la majorité de ces huit œuvres racontent des histoires remplies de clichés, tout en ayant la triste allure de pubs pour assurances ou pour montres. Bien heureusement, deux de ces métrages - tous deux récompensés - osent légèrement plus. Tout d’abord Phlegm (Jan-David Bolt, 2021), œuvre aux allures de fever dream qui, en plus de faire marcher des hommes d’affaires livides sur des escargots, fait du son l’un de ses principaux acteurs, puis Little Miss Fate (Joder von Rotz, 2020), court métrage d’animation qui met une citoyenne lambda aux commandes de l’avenir de ses concitoyens. Ce film ose se salir, déformer les corps, les faire fusionner, sans se soucier de dégoûter ou de déplaire: il semble, ici, y avoir un geste libre.


S’il y a bien un long métrage qui m’aura donné un sentiment de liberté au sein de cette sélection, c’est un autre film d’animation, Cryptozoo (Dash Shaw, 2021). Les visuels tout à fait singuliers de ce dernier ne sont en quête ni de réalisme, ni de beauté. J’avancerais même que certains des plans sont à la limite de la laideur. Ce parti pris esthétique, presque transgressif, dérange car il demande à nos cerveaux de rétablir un ordre dans cette anarchie visuelle. Ayant lieu en plein contexte de guerre froide, Cryptozoo postule un monde dans lequel les humains vivent entourés de cryptides, des créatures fantastiques, ayant une multitude d’apparences différentes et des pouvoirs tout aussi divers. Nous suivons Lauren Gray (Lake Bell), défenseuse engagée des cryptides, dans son périple sur les traces du Baku, créature surpuissante qui se trouve être également convoitée par l’armée américaine. Cryptozoo met donc en scène la confrontation entre deux camps aux desseins opposés: d’un côté se trouve l’intention d’exploiter les pouvoirs gigantesques du Baku à des fins militaires, de l’autre, la volonté de récupérer cette créature pour qu’elle soit enfin en sécurité. Là où l’on pourrait alors croire en une vulgaire confrontation entre «les gentils» et «les méchants», le récit de Shaw ose encore une fois l’ambiguïté. Et notamment car, pour préserver les magnifiques cryptides, Shaw a recours à un zoo: le Cryptozoo, sorte de lieu d’exposition dans lequel les créatures sont enfermées. Aux abords de ce lieu, on a instantanément une étrange impression, comme si nous nous trouvions en plein milieu d’un supermarché à ciel ouvert.


Le rêve utopique du personnage principal, celui d’un monde où humains et cryptides vivent en harmonie, relève de l’impossible au sein d’une société comme celle des États-Unis dans les années 60. Pour que cette union puisse avoir lieu, il serait nécessaire que les mœurs sociétales changent drastiquement, que tout soit renversé, annihilé, puis reconstruit en conséquence. Si, comme le déclare l’un des personnages du film, «les utopies ne se réalisent jamais», c’est probablement car on les enferme dans le prolongement de nos sociétés, bien en sécurité dans nos normes arrêtées: des normes bien souvent dictées par la recherche sans fin du profit. L’erreur que fait Lauren, c’est de ne pas penser en dehors de son monde. Dès lors, pour préserver les cryptides, elle ne peut que les enfermer, et finit par les annihiler à son tour. Ce n’est évidemment pas par hasard si ce film se situe dans les années 60: si l’on peut voir cette période comme l’avènement de la société de consommation, ce récit semble aussi nous avertir de l’impossibilité pour une société capitaliste de vivre avec l’extraordinaire.


L’œuvre aussi déstabilisante que passionnante qu’est Cryptozoo permet, peut-être, de réfléchir aux contradictions entre fond et forme des autres films de cette édition du NIFFF. En soi, l’industrie du cinéma telle que nous la connaissons, peut-elle vraiment produire un film dont la forme - scénaristique ou visuelle - soit aussi fantastique et extraordinaire que le fond? Est-ce que cela ne dérangerait pas trop le grand public? Est-ce la raison pour laquelle les créatures du fantastique sont bien trop souvent enfermées dans des cadres ou autres cages aseptisées?


Même si les films que j’ai pu visionner - je le rappelle, mes observations tout à fait subjectives et motivées idéologiquement ne se basent que sur une partie du corpus intégral - m’ont rarement convaincu, je pars tout de même du NIFFF avec un sentiment positif. Car, outre le cinéma, le festival ose programmer une jolie diversité d’autres domaines artistiques, passant des arts de rue à la réalité virtuelle. C’est la preuve qu’il ne se restreint pas à un seul mode de représentation, à une seule vision. En plus d’être une manifestation organisée de main de maître, le NIFFF a aussi le culot d’essayer, par divers moyens, de sortir des cadres que le terme «festival de cinéma» implique. Ajoutez à cela un cadre idyllique, une ambiance familiale et bon enfant, et vous obtiendrez un événement auquel j’ai indéniablement envie de retourner.


Colin Schwab


1 Marc Attalah, «La science-fiction comme art» in L’art de la science-fiction, Yverdon-les-Bains: Maison d’Ailleurs, 2016, p. 30.




FACETTES MULTIPLES DU FANTASTIQUE


Cette année, le festival a décidé de mettre en lumière l’imaginaire taïwanais avec le programme «Formosa Fantastica». Comme à son habitude, il a également offert au public un cycle de conférences (abordant de multiples sujets, des effets spéciaux de la saga Godzilla à la dialectique entre science et fiction en passant par les séries de genre francophones) et des installations immersives.


Des projections gratuites de classiques en plein air et des programmes adaptés aux enfants ont formé quant à eux le NIFFF Invasion. 2021 a vu la projection de 106 œuvres, soit 48 longs métrages, 46 courts métrages, 8 installations immersives et 2 productions télévisuelles, provenant de 32 pays différents. C’est un aperçu de ce riche panorama qui vous est livré ici.


Les International Shorts de cette cuvée, au nombre de sept, n’ont pas déçu en matière de diversité de genres et d’approches, certains ayant marqué par leur poésie, leur humour ou au contraire leur grossièreté. Mon ami qui brille dans la nuit, court métrage d’animation français présentant la relation touchante entre un fantôme perdu et un agriculteur prêt à tout pour lui permettre de rejoindre les cieux, appartient à cette première catégorie. Faisant écho à des œuvres comme E.T. l’extraterrestre, sa douceur crée une ambiance presque mélancolique. De son côté, Sprötch, création venue de Belgique, a ravi le cœur des spectateurs, qui lui ont attribué le Prix du Meilleur court métrage. Avec son humour noir des plus grinçants et absurdes, elle raconte l’histoire d’un père qui, persuadé d’avoir écrasé l’ami de son fils en voiture, tente de dissimuler son crime. Abordant en filigrane la question de l’immigration, Sprötch arrive à susciter des émotions contradictoires en nous faisant rire tout en nous culpabilisant de ce rire. Avec un autre genre d’humour, Night Of The Living Dicks laisse pantois par son indélicatesse. Offrant un noir et blanc léché et élégant rendant hommage au film auquel le titre fait référence, Night Of The Living Dead, ce court métrage commence sous de bons auspices. Hélas, forme et fond n’ont jamais paru aussi éloignés. Le discours féministe qui semble se tisser au début du film n’est qu’une excuse pour des blagues potaches et une intrigue reposant sur l’interprétation littérale de l’insulte «dickhead». Je vous laisse deviner la suite. Les autres membres de la sélection, à savoir Shoegazing, Horrorscope (qui a déclenché l’hilarité dans la salle grâce à sa moquerie des canons du genre), A Stranger From The Past et Escaping the Fragile Planet, étaient tous réussis et réjouissants, quoique moins percutants.


Du côté de la Compétition internationale, certains films sélectionnés revêtaient une parure science-fictionnelle. Parmi eux, Flashback (Christopher MacBride, Canada) et Midnight In A Perfect World (Dodo Dayao, Philippines). Ce dernier dépeint une Manille soumise à de mystérieuses coupures d’électricité, sous-tendues par une menace invisible, survenant après minuit et plongeant la ville dans un noir complet. Quatre amis vont alors devoir trouver refuge dans une «safe house», dont la sécurité n’est pas réellement mieux garantie. Le réalisateur, Dodo Dayao, a déclaré que le travail de David Lynch et de Wong Kar-wai fut une grande source d’inspiration pour ce film. En effet, on sent une certaine parenté entre les films des deux cinéastes et Midnight In A Perfect World. Malheureusement, celui-ci souffre de la comparaison. Son premier acte est très prometteur, lançant des pistes d’invasion d’aliens, de rivalités de gangs et d’étranges maisons aux propriétés insoupçonnées. Cependant, là où l’action et le mystère devraient survenir, le soufflé retombe. L’intrigue stagne, ne propose rien d’excitant ou d’effrayant, et est ponctuée d’effets de style qui se veulent inquiétants alors qu’ils ne sont qu’énervants. A contrario, Flashback comporte de nombreux effets visuels intéressants et sa trame narrative ne connaît presque aucun temps mort. Elle relate les aventures de Fredrick, jeune homme hanté par le retour soudain de souvenirs refoulés mettant en scène son ex-copine, disparue depuis plusieurs années. Mêlant drogue douteuse et lignes temporelles parallèles, cette histoire alambiquée demande toute son attention au public, qui la suit avec plaisir même si l’incompréhension n’est pas exclue et le dénouement ambiguë: la fin prend en effet une tournure inattendue et émotionnelle, qui pourra faire fondre ou laisser de marbre. N’hésitant pas à aborder des questionnements existentiels (faut-il privilégier la stabilité ou suivre ses rêves, par exemple), Flashback provoquera à n’en pas douter la réflexion, pour l’associer de manière inventive au divertissement.


Une forme plus classique de fantastique était également bien représentée dans la compétition. L’œuvre hongroise Post Mortem (Péter Bergendy) en est un bon exemple. Suivant un ancien soldat reconverti, après la Première Guerre mondiale, dans la photographie funéraire et venu immortaliser les habitants d’un village où sévit la grippe espagnole, ce film est une histoire de fantômes plutôt traditionnelle somme toute efficace. Présentant un rythme lent, une esthétique soignée et des séquences vraiment effrayantes, il ne table pas sur une originalité incroyable, mais convainc grâce à une ambiance maîtrisée et à la présence de personnages attachants. L’horreur réelle et historique, celle de la guerre et de l’épidémie, résonne d’ailleurs de manière particulière dans le contexte actuel et les séquences où le héros effectue les préparatifs pour la photographie post mortem (véritable coutume au XIXe et début du XXe siècles) sont parmi les plus réussies et glaçantes. Knocking (Frida Kempff, Suède) et Son (Ivan Kavanagh, USA/Irlande/Royaume-Uni), autres concurrents de la Compétition internationale, ne révolutionnent pas non plus leur genre respectif (le thriller paranoïaque et le film de possession) mais ne sont cependant pas dénués de qualités. Tous deux jouent sur une hésitation entre deux explications des événements, sur une notion de gaslighting1. Son illustre le désarroi d’une mère qui, échappée d’une secte, croit que son fils, atteint d’une mystérieuse maladie, est l’antichrist. Knocking quant à lui expose la descente aux enfers d’une femme ayant récemment perdu sa compagne et qui est persuadée d’entendre des coups portés contre les murs de son nouvel appartement. Les héroïnes de ces deux réalisations ont donc connu un traumatisme qui met en doute leur vision des choses et créent une hésitation entre surnaturel et rationnel pour Son et entre paranoïa et faits effectifs pour Knocking. Toutefois, la ressemblance s’arrête là, car les habitués de films d’horreur pourront tout prédire du premier tandis que le deuxième maintient le suspense et le caractère anxiogène jusqu’au bout. De plus, l’actrice principale de Knocking se montre convaincante, entraînant le spectateur dans sa détresse de n’être crue de personne, alors que le casting de Son est plutôt moyen, à l’exception d’Emile Hirsch, qui se fraie gentiment un chemin dans le cinéma de genre. Il n’est pas fondamentalement déplaisant, même si on aurait pu souhaiter quelques innovations ou jeux sur les clichés du film de possession.


L’écologie s’est révélée être un thème récurrent, traité plus ou moins en profondeur dans plusieurs des films que j’ai pu visionner. Cette thématique est particulièrement prégnante dans Gaia (Jaco Bouwer), qui met en scène une garde forestière découvrant, sur les terres sud-africaines, deux survivalistes vouant un culte à une déesse sylvestre. Explorant le rapport de l’humain à la nature, l’œuvre image la puissance de cette dernière. Comme le montrent les créatures hybrides mi-hommes mi-forêt dont doivent se protéger l’héroïne et ses compères, la nature finira par se nourrir des humains, dans un mouvement contraire de ce que nous faisons actuellement avec les matières premières. Esthétiquement magnifique et dispensant un discours dans l’air du temps, il y a fort à parier que Gaia marquera les esprits des spectateurs. Partant d’un postulat similaire, In The Earth (Ben Wheatley, Royaume-Uni) propose un traitement très différent du sujet. Nous suivons à nouveau une garde forestière, chargée cette fois-ci d’accompagner un scientifique jusqu’à un camp d’expérimentation. Leur chemin croisera celui d’un ermite aux croyances radicales. L’idée d’une adoration sectaire de la nature est également présente bien qu’elle prenne une tournure plus angoissante et sanglante, conférant aux images une dimension hallucinogène. Face à In The Earth, le malaise est en effet assuré à toute personne trop sensible aux lumières stroboscopiques, aux mouvements de caméra erratiques et aux sons violents. Le film propose un autre élément intéressant: l’opposition entre la science d’un côté, la spiritualité et le folklore de l’autre. Cette approche déjà passionnante prend un caractère presque politique si l’on considère que le récit se déroule en pleine pandémie mortelle. Reflet du débat actuel opposant arguments scientifiques et dilettantes? À chacun d’en juger… Autre réalisation à vocation écologiste, The Feast (Lee Haven Jones) qui dépeint la préparation d’un luxueux repas chez une riche famille galloise, dysfonctionnelle au possible quoique soucieuse de sauvegarder les apparences. En effet, son but est de persuader une agricultrice de leur céder un terrain réputé sacré. La présence d’une nouvelle employée de maison va alors tout faire basculer. Lauréate du Prix NIFFF de la Critique internationale, cette œuvre très lente rappelle sa sœur danoise Festen de Thomas Vinterberg. Avec son ensemble de personnages tous plus détestables les uns que les autres - qu’ils appartiennent au camp des «gentils» comme des «méchants» - et son intrigue tournant majoritairement autour du pot, elle ne m’a cependant pas convaincue. Certes, son message visant à critiquer l’exploitation outrancière de la planète et de ses trésors est louable, et la fin est dérangeante à souhait. Mais ils ne parviennent pas à effacer la déception s’étant développée tout au long de l’histoire.


La catégorie «Ultra Movies», qui présente des films plus extrêmes et gores, s’est également aventurée du côté de l’écologie, mais de manière très légère et superficielle, avec Werewolves Within (Josh Ruben, USA). L’intrigue suit l’arrivée d’un garde forestier (et oui, encore un!) dans une petite ville déchirée par un conflit entre opposants et partisans de la construction d’un pipeline. Alors qu’une mystérieuse créature se met à attaquer les habitants de cette excentrique communauté, soupçons et méfiance s’éveillent. Inspiré d’un jeu vidéo, lui-même basé sur le célèbre jeu de société Les Loups-garous de Thiercelieux, ce long métrage disposait de nombreux atouts pour réussir, comme un décor magnifique (menacés par les attaques et une tempête de neige, les personnages se rassemblent dans un manoir, clin d’œil à une autre adaptation de jeu de société, Cluedo), ou encore des prémisses toujours excitantes (l’idée d’un huis clos renfermant un tueur et ses potentielles victimes, qui doivent l’identifier parmi leurs voisins et amis, détient un potentiel horrifique à résonance universelle). Malheureusement, Werewolves Within a un gros défaut: son humour. Si ses créateurs avaient passé un peu moins de temps à imaginer des blagues scabreuses et investi un peu plus d’énergie à approfondir ses aspects écologiques (avec la lutte contre le pipeline), politique et social (la communauté est composée d’individus de sexes, races, orientations sexuelles et bords politiques différents, ce qui crée des étincelles), le résultat aurait été beaucoup plus intéressant sur le fond et sur la forme. Exploiter davantage le concept du jeu d’origine, en attribuant les rôles pour lequel il est connu aux différents personnages par exemple, aurait également été une bonne idée. Un rendez-vous quelque peu raté donc.


Cette édition du NIFFF avait pour vocation de démontrer toute la richesse du cinéma de genre taïwanais. The Tag-Along (Cheng Wei-hao) remplit parfaitement cette mission, avec le récit d’une jeune femme lancée sur les traces de son petit ami disparu, victime d’une malédiction alors qu’il recherchait sa grand-mère, emportée par le même maléfice. Comportant elle aussi une légère notion écologique (il est notamment question d’une forêt hantée qui, se réduisant au fur et à mesure que ses arbres sont coupés, envoie son fantôme en ville), cette réalisation est surtout un magnifique exemple du talent que possèdent les cinéastes asiatiques pour investir leurs histoires de fantôme d’une dimension métaphorique et émotionnelle très forte, les protagonistes étant ici tous hantés par une forme de culpabilité. Les relations entre les personnages et la construction de ceux-ci ne servent jamais d’excuse pour les moments horrifiques, ces derniers les nourrissent au contraire, ce qui les rend encore plus effrayants. Seul regret: la séquence de climax présente des effets spéciaux assez brouillons et excessifs, ce qui gâche la tension qui avait été tissée avec brio jusque-là. Fort de la passion indéfectible qui l’anime et de la fidélité de son public, le festival neuchâtelois, qui a enregistré de très bons résultats malgré le contexte sanitaire incertain, a encore de beaux jours devant lui pour célébrer le cinéma de genre. Et cela se fera sous l’égide de son nouveau directeur général, Pierre-Yves Walder.



1 Terme désignant un processus de manipulation mentale consistant à faire douter la victime de sa raison et à la faire passer pour folle.