NEUCHATEL INTERNATIONAL FANTASTIC FILM FESTIVAL

Le 24 août 2022

NIFFF 2022 - Retour sur la Compétition internationale


Le Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF pour les intimes) s’est déroulé du 1er au 9 juillet derniers. Fidèle à sa réputation, l’événement a proposé pendant neuf jours pas moins de 128 œuvres provenant de 46 pays et a réuni - pour la première fois de son histoire - plus de 50’000 personnes. Parmi elles, une partie de l’équipe de Ciné-Feuilles qui revient sur les films composant la Compétition Internationale de cette 21e édition.


Une sélection tout feu, tout flamme.

par Marvin Ancian


Après le flamboyant film d’ouverture Les Cinq diables (voir l’article qui lui est dédié dans ce numéro), certaines réalisations ont enflammé la Compétition internationale, notamment par leur qualité esthétique. Ashkal, premier long métrage de Youssef Chebbi, est un polar mystique se déroulant à Tunis dans les Jardins de Carthage, un projet immobilier interrompu par la révolution tunisienne de 2011. C’est dans ce décor que Fatma et Bartal mènent l’enquête après la découverte d’un corps calciné. Si l’hypothèse du suicide est dans un premier temps envisagée, la série d’immolations par le feu qui va suivre entraînera le récit dans quelque chose de beaucoup plus fantastique. Œuvre à la mise en scène ultra-maîtrisée, le film évoque en arrière-plan l’histoire récente de la Tunisie. Et si le scénario, au-delà de sa facette surnaturelle, reste très classique, l’ambiance noire teintée de mysticisme captive.

Premier film encore avec Blaze de Del Kathryn Barton, une artiste peintre, qui s’essaie à la réalisation, pour notre plus grand bonheur. On y suit le parcours d’une pré-adolescente témoin d’une scène de crime glaçante. Protégée par Zephyr, son dragon imaginaire, la jeune fille tentera de se reconstruire suite au traumatisme. Fourmillant d’idées visuelles souvent poétiques et venant contraster avec la violence du récit, Blaze - porté par une actrice incroyable (Julia Savage) - est sans aucun doute l’un des coups de cœur du festival.

Ces deux films ont été récompensés au palmarès et sont la preuve, s’il en faut, que le fantastique s’inspire encore et toujours du réel pour le décortiquer avec onirisme et poésie. Mais la distinction la plus prestigieuse (Prix H. R. Giger «Narcisse») a été décernée à Nos cérémonies de Simon Rieth. Une œuvre qui narre le parcours de Tony et Noé, deux frères qui, dès leur plus jeune âge, jouent avec la mort, jusqu’à ce que l’inimaginable se produise. Cette relation fraternelle sous le soleil de la côte atlantique française (le récit se déroule dans la ville de Royan durant l’été 2011) propose une réalisation léchée qui, si elle tire un peu en longueur, n’a pas pour autant démérité sa récompense.


À noter également Hypochondriac (Addison Heimann), lauréat du Prix de la jeunesse - que nous ne sommes pas parvenus à voir - et Freaks Out (Gabriele Mainetti), primé par le Prix RTS du public. Ce dernier est une belle surprise en provenance d’Italie. S’apparentant à un film de super-héros prenant place en pleine Seconde Guerre mondiale, la proposition est rafraîchissante et réussit à renouveler le genre ainsi qu’à faire oublier les marveleries et autres dérives superhéroïques qui envahissent nos écrans.

Au rang des injustices, mentionnons Vesper Chronicles qui, malgré une salle comble à deux reprises, est reparti bredouille. Cette dystopie à l’allure de fable écologiste est la dernière réalisation du duo Kristina Buozyte et Bruno Samper déjà à l’origine du scénario du remarqué (et pourtant somme toute assez quelconque) Vanishing Waves. Cette fois-ci, les auteurs nous embarquent dans un monde ravagé, où les biotechnologies ont échoué à sauver la planète. Dans cet univers foisonnant, Vesper, une jeune fille brillante, nous entraîne dans une aventure envoûtante et fascinante.


Citons encore pêle-mêle, Dual (Riley Stearns), un film à l’humour noir et au sarcasme convaincant dans ses deux premiers tiers avant d’offrir une ultime partie frustrante. Mais aussi Huesera (Michelle Garza Cervera) qui relate les affres de la grossesse et qui, malgré un manque de cohésion narrative, a certainement proposé parmi les moments les plus angoissants du festival. Ainsi que Zalava (Arsalan Amiri), film iranien oscillant entre drame, romance et horreur, nous plongeant dans les croyances et superstitions d’un petit village à la fin des années 1970. Enfin, l’absurde No. 10 (Alex van Warmerdam) qui - à l’exception d’un épilogue jouissif - ne parvient jamais à être suffisamment drôle ou grinçant pour convaincre.


Compétition internationale, suite…

par Blaise Petitpierre


Il est délicat d’aborder les bouleversements environnementaux au cinéma sans tomber dans un ton moraliste et sentencieux. C’est pourtant ce que réussit The Cow Who Sang A Song Into The Future qui raconte le retour d’un fantôme d’une mère auprès de sa famille alors qu’une pollution industrielle menace la ferme familiale au Chili. Dans cette coproduction suisse, la réalisatrice Francisca Alegría trace un parallèle entre l’amour filial et le fardeau écologique qui pèse sur les plus jeunes générations avec une poésie fantastique et mélancolique plutôt qu’un regard moralisateur.

Mieux vaut éviter de visionner Family Dinner (Peter Hengl) avant une pause repas au festival. On y suit une adolescente en surpoids qui s’en va séjourner chez sa tante, une cheffe gastronomique reconnue pour ses ouvrages en diététique. Elle y découvre une pratique peu orthodoxe de la célébration du carême. Ce film autrichien joue habilement avec différents thèmes liés à l’alimentation pour construire une atmosphère inconfortable, oppressante et glaçante. La recette est classique, mais la sauce ne manque pas de saveur et le soufflé ne se dégonfle pas.


… et fin.

par Amandine Gachnang

Réalisé avec deux bouts de ficelle par les hommes-orchestres Justin Benson et Aaron Moorhead, Something In The Dirt raconte les aléas de deux amis dévorés par leur envie de célébrité, que le duo compte atteindre en documentant les phénomènes étranges se produisant dans l’appartement de l’un d’eux. Outre cette plongée «méta» dans le divertissement «basé sur des faits réels» dont les plateformes de streaming semblent se régaler, le film aborde plusieurs sujets aussi passionnants qu’effrayants dans leur actualité toujours plus prégnante (paranoïa, fascination pour Los Angeles, désinformation, conspirations, etc.) Il nous présente également des personnages aux facettes multiples (chacun possède des traits qui pourraient le démolir ou le racheter à l’aune de la société moderne «woke») très bien interprétés par Benson et Moorhead, également à l’œuvre en coulisse. Sous couvert de science-fiction, Something In The Dirt porte un regard à la fois acéré, tendre et amusé sur l’industrie cinématographique, la ville considérée comme étant son berceau étasunien et certaines communautés ou personnes peuplant internet. Riche et intriguant, ce film vaut le détour, quitte à retrouver une fine couche de poussière mystérieuse sur notre vision du monde.


Pour terminer, mentionnons que Men d’Alex Garland composait également la Compétition Internationale. Depuis sorti dans les salles suisses, vous retrouverez l’article le concernant dans notre précédent numéro 881, pp. 10-11.



COURTS METRAGES


La sélection des courts métrages constitue souvent un très bon moyen de découvrir de nouveaux réalisateurs et réalisatrices, styles, thématiques, talents, etc., dans un format dont la brièveté laisse place à la curiosité et à l’envie d’en voir davantage. L’échantillon essaie en règle générale d’inclure différents sous-genres du fantastique afin d’offrir une vaste représentation de ce qui se fait aujourd’hui. Malheureusement, les six œuvres proposées cette année n’ont, dans leur majorité, pas réussi à convaincre.


Une moitié des courts métrages 2022 faisait la part belle à l’humour, ce qui est risqué, car les plaisanteries exposées peuvent enflammer les zygomatiques ou laisser d’un marbre le plus froid. À en juger par les réactions du public et les miennes, c’est hélas plutôt la deuxième option qui a été privilégiée. Nous avions tout d’abord affaire à Wet, film d’animation français se déroulant dans un centre thermal à l’ambiance torride (dans tous les sens du terme). La réalisation tente d’instaurer une ambiance poético-comique qui tombe à plat, surtout dans son traitement des corps qui peuplent le centre. Tous sont voluptueux et pulpeux au possible, ce qui est une très bonne chose, mais la question suivante se pose assez rapidement: est-ce un éloge ou une moquerie? Les blagues se font en effet au détriment des personnages, utilisant leur corpulence comme une excuse. Plutôt que faire rire, cela met mal à l’aise. Venait ensuite Plan-plan cul-cul, autre film d’animation, quant à lui originaire de Belgique et adapté de la bande dessinée du même nom. Le titre de ce court métrage résume parfaitement son intention: on y parle abondamment de sexe (et on le pratique) et on y rencontre une présence extraterrestre (comme dans Plan 9 From Outer Space d’Ed Wood, d’où le détournement de l’expression «pan-pan cul-cul»), les deux notions formant un mélange explosif. À l’image de la création de Wood, le court métrage est un flop: il n’y a pas de réelle histoire, tout est extrêmement lourd (de l’humour à la caractérisation des personnages) et visuellement laid. Un mauvais goût qui a laissé plusieurs personnes dans la salle totalement dépitées. Pour finir, le suédois The Last Marriage proposait un regard intimiste sur le film de zombies, considérés ici plus comme une nuisance que comme une menace. À l’instar des meilleurs films du sous-genre en question, la figure des morts-vivants fait dans ce court métrage office de métaphore et est utilisée pour symboliser la déliquescence d’un mariage. Cette idée de base est très maline et il est alors dommage qu’un humour un peu potache vienne entraver l’émotion sous-jacente.


L’autre pôle de la sélection se focalisait sur des œuvres à dimension plus introspective et davantage réussies. La production danoise In The Soil se montre obscure sous tout rapport: aux niveaux météorologique (un ciel gris, une île venteuse), fictionnel (le sujet abordé, à savoir la relation entre une adolescente et son père obsédé à l’idée de creuser une tombe dans leur jardin, n’est pas très folichon) et de la compréhension (tout n’est pas très clair ni expliqué, ce qui laisse davantage de place au mystère et au malaise, dans le bon sens du terme). Le résultat donne une atmosphère pesante et un visuel aux teints bleutés du plus bel effet, qui nous emportent dans ce conte à la fois glaçant et déroutant, même si au final pas totalement satisfaisant. De son côté, Le Censeur des rêves, production française, a eu le mérite d’être le court métrage le plus convaincant sur le plan narratif. Montrant la dure tâche d’un homme devant empêcher une femme de rêver d’un certain événement traumatique en travestissant ses songes, l’œuvre, inspirée d’une nouvelle japonaise, arrive à être touchante et à offrir une représentation des rêves peu commune. Seule réalisation non européenne de la sélection, Rachels Don’t Run, qui nous vient des États-Unis, pourrait constituer les prémisses d’un épisode de la série Black Mirror. Sur un ton mélancolique, elle raconte la soirée d’une opératrice devant gérer des intelligences artificielles qui dialoguent avec les clients. Accablée par sa solitude, elle décide tout à coup d’assumer le rôle d’une de ces intelligences artificielles afin d’avoir quelqu’un à qui parler. Si ce concept n’est pas vraiment original, la performance de l’actrice principale, à qui on s’attache instantanément, rend l’histoire poignante. Le huis clos devient alors un petit univers en soi que l’on a peu de peine à imaginer devenir réel un jour. Si l’échantillon 2022 était un peu plus faible que les années précédentes, il reste cependant de très bons espoirs pour la relève du cinéma de genre!


Amandine Gachnang