L'édito de Sabrina Schwob - Monica Vitti, l’indomptable

Le 09 février 2022

Un petit van de télévision s’arrête devant une auberge. Il diffuse, à l’aide d’un haut-parleur, «Mai» de la chanteuse italienne Mina. Sur cet air, une résidente de l’auberge se vêt paresseusement en même temps qu’elle chante à tue-tête. Se mêle à la sensualité, une joie enfantine et théâtrale qui anime chacun de ses mouvements et déplacements dans l’espace, sous l’œil de son ami, à peine arrivé, et déjà impatient de repartir. Suffisamment pleine de vitalité, elle feint de ne pas voir, s’amuse, jusqu’au moment où il s’efface entièrement, perdu dans ses pensées. Alors, en gros plan, son sourire à elle disparaît, la tristesse est là: il doit penser à l’absente. Aucune parole ne le signifie, son corps oui.

Cette séquence de L’Avventura (1960) fait écho à tant d’autres de la célèbre tétralogie de Michelangelo Antonioni - du film susmentionné au Désert rouge (1964). Dans ces films, Monica Vitti incarne cette figure de femme qui, dépêtrée des impératifs moraux imposés par la religion, se refuse à toute transcendance, n’identifiant de vrai qu’une disponibilité à l’instant, sans chercher à inscrire les choses dans la durée. Ce qui ne l’empêche pas de se laisser bercer par l’illusion qu’elles perdureront, comme à la fin de L’Éclipse (1962): son personnage et Piero (Alain Delon), après un grand moment de complicité, se fixent un rendez-vous auquel ils savent pertinemment que jamais ils n’iront. Une vie inconséquente qui paraît mener à la névrose du Désert rouge…

S’il serait injuste de ne retenir de la filmographie de Monica Vitti que les films tournés avec son compagnon et ami Michelangelo Antonioni, ce sont les images d'elle les plus remarquables, à nos yeux, et à travers lesquelles nous avons voulu lui rendre hommage. Une chance que le cinéma les fasse perdurer au-delà de sa mort, intervenue alors qu'elle venait tout juste de fêter ses 90 ans.