MAXIME LACHAUD: «THE AMUSEMENT PARK OUVRE SUR UNE DIMENSION ONIRIQUE OU HALLUCINEE DU CINEMA DE ROMERO»

Le 03 novembre 2021

Deuxième rencontre de Ciné-Feuilles avec Maxime Lachaud, auteur de Redneck Movies et Potemkine et le cinéma halluciné, présent à Lausanne pour parler d'une œuvre méconnue dans la filmographie de Romero.


La 20e édition du Lausanne Underground Film & Music Festival (LUFF) s’est tenue du 20 au 24 octobre. Au programme notamment, la première suisse de The Amusement Park, une commande faite à George A. Romero (La Nuit des morts-vivants, Zombie) en 1973 par la communauté luthérienne de Pittsburgh. Portée disparue dans un premier temps, puis exhumée en 2018 par la veuve du maître des films de morts-vivants, l’œuvre suit les déambulations d’un aîné dans une fête foraine virant au cauchemar afin de sensibiliser le spectateur sur le sort des personnes âgées.

Jeudi 21 octobre, deuxième jour du LUFF, au Casino de Montbenon, le festival bat son plein. Je retrouve Maxime Lachaud et nous cherchons un peu de calme dans une pièce aux fauteuils alambiqués où nous entamons la discussion sur cet ovni cinématographique qu’est The Amusement Park.


Comment avez-vous découvert The Amusement Park?

Un peu par hasard. J’ai sorti un livre il y a un an: Potemkine et le cinéma halluciné dans lequel j’explorais la tradition onirique dans le cinéma ainsi que ce que j’appelle le cinéma hypnagogique1 et les films trips. Dans ce contexte, Nils Bouaziz, le directeur des éditions Potemkine, m’annonce que The Amusement Park a été retrouvé et que la première en France aura lieu au Festival Lumière à Lyon. Comme il me propose de venir en parler, il m’envoie un lien pour découvrir le film. Ce qui me frappe au moment du visionnement, c’est sa puissance et son côté très noir. Dans Redneck Movies, un autre livre, je me suis intéressé aux films de redneck et aux traditions folkloriques du Sud. J’ai alors trouvé beaucoup d’échos avec The Amusement Park qui se passe dans un parc d’attractions dans l’Amérique profonde, et dans lequel le lieu devient une métaphore de la société américaine.


Le film a disparu pendant de nombreuses années, avant de réapparaître en 2017. Quelle est son histoire?

Il y a eu quelques ouvrages sur Romero qui mentionnaient ce film. Il a aussi occasionnellement été projeté dans des festivals, même si la plupart des gens l’ignorait. En 2017, des bobines 16 mm ont été retrouvées. C’est la veuve de Romero qui, quand elle a vu le film, s’est dit qu’il était important. Elle a alors supervisé le travail de restauration. C’est donc depuis tout récemment qu’il est possible de le voir ainsi restauré. Jusqu’alors on estimait qu’il était perdu.


Quelle place a cette œuvre dans la filmographie de Romero?

C’est un film avec un tout petit budget tourné en trois jours, mais qui dure quand même 53 minutes et qui est très dense. Il y a tout un travail sonore et visuel qui en appelle autant au fantastique qu’à la satire. Même si Romero l’a mise un peu de côté, étant une œuvre de commande, elle ouvre de nombreuses perspectives sur la dimension plus onirique ou hallucinée de son cinéma. Ce n’est pas un film d’horreur traditionnel, mais son sujet reste la peur de vieillir et de mourir. Le décor du parc d’attractions est lui aussi une sorte de cliché du cinéma d’épouvante. Sauf que là, il n’en fait ni un lieu de terreur enfantine, ni un lieu mélancolique, mais une représentation de toutes les institutions américaines. D’une part c’est un film qui révèle les aspects plus expérimentaux de son travail, d’autre part on retrouve les thématiques qui lui sont chères.


S’agissant d’une commande de la communauté luthérienne de Pittsburgh, n’est-ce pas surprenant de demander à Romero de le réaliser?

Oui et non. Dès le début des années 60, Romero avait créé une boîte de production avec des amis étudiants. Ensemble, ils ont réalisé des publicités ainsi que des séries télévisées et sportives.

À côté, le succès de La Nuit des morts-vivants a fait de Romero un nom connu. Cependant, à cause d’un problème de copyright sur le film, il ne pouvait pas en vivre et avait encore besoin de poursuivre ce type de projets. Ce n’est d’ailleurs même pas sûr que les commanditaires aient eu connaissance de son travail sur La Nuit des morts-vivants.

Enfin, c’était une période où il y avait beaucoup de films religieux comme If Footmen Tire You What Will Horses Do? ou A Thief In The Night, qui ont été des succès auprès des évangélistes. Le but de ces films était d’être sensationnels et de faire peur au public pour qu’ils se convertissent. Par exemple, le pasteur Estus Perkel avait fait appel à Ron Ormond, qui est une figure du cinéma d’horreur, pour réaliser ses films de propagande religieuse. Le fait que Romero ait fait un film sensationnaliste était, je pense, plutôt un atout.


Les commanditaires n’ont pas pour autant accepté le film.

Quand ils ont découvert que c’était un film avec des angles de vue étranges, un discours violent et une représentation des États-Unis totalement noire, c’en était trop. D’ailleurs, dans la première version, l’introduction et la conclusion, qui sont assurées par l’acteur principal, Lincoln Maazel, n’existaient pas. Les commanditaires ont demandé d’ajouter cette explication pour que ce soit plus didactique. Je trouve que ça rappelle un peu la série La Quatrième dimension, avec un aspect un peu allégorique, comme dans une fable morale. La fin devait d’ailleurs transmettre un message positif, que Romero a très vite évacué.


On connaît évidemment Romero pour ses films de morts-vivants, même si ce film-là n’est pas identifié tel quel, il s’en rapproche fortement.

Il en est très proche. Les personnes âgées sont là, on les piétine, on ne les voit même pas. Il y a toujours cette idée d’une foule hystérique comme une masse unique, abrutie par un mercantilisme monstrueux. On entend ces strates de sons agressifs qui rappellent ce qu’il fera quelques années plus tard. On a même la scène avec les motards, comme dans Zombie.


En quoi ce film s’inscrit dans le cadre du LUFF, quelle est sa cohérence avec la programmation du festival?

Premièrement, c’est un film inclassable comme le sont souvent ceux du LUFF. De plus, la programmation de cette année propose une thématique autour des films de commandes religieuses du début des années 70. Ce sont tous des ovnis, des films extrêmement bizarres et spéciaux qui, sous prétexte d’éveiller les consciences et d’amener les gens vers la foi ou vers une foi plus grande, utilisent le langage et les codes du cinéma d’horreur, de science-fiction ou du fantastique.


Propos recueillis par Marvin Ancian


1 Voir CF n. 844 pour plus de détails sur ce cinéma.