Le top 10 de la rédaction des films sortis en 2023
Le 10 janvier 2024
Après moult calculs très savants, la rédaction de Ciné-Feuilles a tranché et vous présente son Top 10 2023! En complément à ce Top 10 qui tend à mettre en avant des films appréciés mais aussi largement visionnés au sein de l’équipe, chaque critique vous propose un coup de cœur de l’année 2023 à (re)découvrir. Bonne année!
1. Anatomie d’une chute
de Justine Triet (France).
2. Killers Of The Flower Moon
de Martin Scorsese (USA).
3. Le Garçon et le Héron
de Hayao Miyazaki (Japon).
4. Yannick
de Quentin Dupieux (France).
5. L’Innocence
de Hirokazu Kore-eda (Japon).
6. Beau Is Afraid
d’Ari Aster (USA).
7. Les Feuilles mortes
d’Aki Kaurismäki (Finlande).
8. The Fabelmans
de Steven Spielberg (USA).
9. Fire Of Love
de Sara Dosa (USA/Canada).
10. Perfect Days
de Wim Wenders (Japon/Allemagne).
Marvin Ancian
Joyland
de Saim Sadiq, Pakistan, 2023
À Lahore, au Pakistan, Haider vit avec son épouse Mumtaz et cohabite avec la famille de son frère. Homme au foyer confronté au regard des autres, il est exhorté par son entourage de trouver un emploi. C’est ainsi qu’il devient danseur dans un cabaret et tombe sous le charme de Biba, une femme transgenre. Premier long métrage de Saim Sadiq, Joyland est une petite merveille qui brise tout en douceur le carcan des traditions et les privations de liberté de la société patriarcale pakistanaise. Pour rappel, il a été le premier film en provenance du Pakistan programmé en sélection officielle au Festival de Cannes où il a remporté la Queer Palm.
Noémie Baume
Noche de fuego
de Tatiana Huezo, Mexique/Argentine/Brésil/Allemagne/USA/Suisse, 2021
Au-delà des chiffres des violences exercées par les narcos dans certaines régions du Mexique, et de l’incapacité systémique de l’État à assurer la sécurité de ses citoyens, c’est une galerie de portraits poignante, et puissante que la réalisatrice brosse habilement. S’appuyant sur une esthétique totalement maîtrisée, elle propose à nouveau un travail habile de construction de la tension dramatique. Elle donne ainsi à voir des réalités violentes, tout en soulignant l’humanité, et l’énergie émancipatrice de ses trois héroïnes qu’elle suit de l’enfance, à l’âge adulte. Elle les filme dans l’intimité de l’espace domestique, et de l’école puis conquérant progressivement les espaces publics du village, et de ses environs.
Anthony Bekirov
Essential Truths Of The Lake
de Lav Diaz, Philippines/France/Portugal/Singapour/Italie/Suisse/Royaume-Uni, 2023
Dans son 22e film en 25 ans de carrière (ce qui est remarquable étant donné que leur durée moyenne est de 6 h) Essential Truths Of The Lake, Lav Diaz met en lumière la corruption du gouvernement philippin et les meurtres de citoyens innocents commis au nom de la guerre anti-drogue. Une première partie suit les tribulations d’un détective qui tente depuis quinze ans à résoudre la disparition d’une jeune femme autour d’un lac. Allant jusqu’à s’habiller comme elle, vivre comme elle, bref, devenir elle, le policier sombre peu à peu dans une tourmente existentielle à laquelle seule une catastrophe naturelle majeure viendra mettre fin: une éruption volcanique qui a détruit les alentours du lac. Cette seconde partie se transforme alors en pèlerinage post-apocalyptique dans un monde de cendre habité par des fantômes et des survivants craintifs.
Kim Figuerola
Toute la beauté et le sang versé
de Laura Poitras, USA, 2022
Le cinquième documentaire de Laura Poitras est un magnifique portrait intimiste de l’artiste Nan Goldin. Construit en deux pistes narratives, Toute la beauté et le sang versé est une biographie inconventionnelle sur sa vie et ses œuvres, ainsi qu’un témoignage sur ses activités militantes contre la famille Sackler, propriétaire de Purdue Pharma et responsable de la tragique crise des opioïdes. Une émouvante immersion dans un univers façonné par la mort, la subversion identitaire, l’addiction aux drogues et le sexe. Mais aussi une véritable rétrospective sur son art qui révèle la beauté et la souffrance de diverses minorités trop souvent stigmatisées.
Amandine Gachnang
La Bête dans la jungle
de Patric Chiha, France/Belgique/Autriche, 2023
Adapté librement du fantastique roman court d’Henry James, La Bête dans la jungle réussit le pari fou de retracer 25 ans (de 1979 à 2004) de musiques, de modes vestimentaires et de moments historiques marquants en prenant pour seul cadre une boîte de nuit. Dans une ambiance envoûtante et empreinte de rêverie sombre, le film donne pour écho à cette partie de l’Histoire celle de deux individus énigmatiques, May et John, toujours entourés et pourtant profondément seuls, dans l’attente d’un événement mystérieux et révolutionnaire qui pourrait changer leur existence, existence qu’ils observent de loin plutôt que de la vivre. Esthétiquement fabuleux et délicieusement tragique, le voyage en vaut le détour.
Pierig Leray
L’Été dernier
de Catherine Breillat, France, 2023
L’Eté dernier signe avec fracas le grand retour de Catherine Breillat avec une immense Léa Drucker, anti-héroïne de l’année, glaçante manipulatrice face à la naïveté désarmante de Samuel Kircher, un adolescent qui découvre l’amour interdit, celui qui le fera tomber dans une terrible machination adulte. Breillat s’est inspirée de Caravage pour la lumière naturelle et saisissante de beauté de sa photographie, les corps sont filmés de face, décrépis ou juvéniles, le désir féminin est ici disséqué sans tabou ni moralisation démagogique, un film frontal qui continue de hanter.
Joas Maggetti
L’Arbre aux papillons d’or
de Pham Thien An, Vietnam, 2023
L’Arbre aux papillons d’or est un road movie contemplatif de presque trois heures qui aborde avec finesse les thématiques du deuil et de la foi. Lorsqu’un accident de la route provoque la mort de sa mère, Dao est livré à son oncle. Ce dernier doit s’occuper du jeune enfant et retourner au village natal de la défunte pour organiser les rites funéraires. La lenteur du film conduit à une forme de dilatation temporelle, à tel point que l’on est presque aussi déboussolé que le personnage errant à travers les paysages brumeux de la campagne vietnamienne. Ce décor participe à construire une atmosphère onirique, où rêve et réalité petit à petit s’entremêlent… Un voyage vers la foi - ou l’impossibilité de trouver la foi - constitué de longs plans séquences aux compositions remarquables.
Noé Maggetti
Camping du lac
d’Éléonore Saintagnan, Belgique/France, 2023
Présenté cette année au Festival de Locarno dans la section Cineasti del Presente, Camping du lac suit la trajectoire d’une femme qui décide de s’installer dans un camping en attendant la réparation de son véhicule, tombé en panne en pleine campagne bretonne. Elle se met alors à observer les habitants des différents mobil-homes et se prend peu à peu d’affection pour eux. Elle découvre également une légende locale racontant qu’un monstre se terre dans les eaux du lac qui borde le camping… À travers le regard sensible et acéré que porte la protagoniste sur le monde qui l’entoure, le film propose une véritable réflexion sur le pouvoir de la fiction, qui s’appuie sur des saynètes à la fois drôles et touchantes.
Blaise Petitpierre
Youssef Salem a du succès
de Baya Kasmi, France, 2022
Le tandem composé par Baya Kasmi et Michel Leclerc, déjà à l’origine du très bon Le Nom des gens, retrouve sa verve et son regard pertinent sur la société. Mieux, avec cette histoire d’un écrivain provenant des milieux populaires soudain exposé au succès, il propose une excellente comédie qui, au-delà de la satire sociale intelligente, est un hommage touchant et bienveillant à la famille. C’est également un des meilleurs rôles de Ramzy Bedia, absolument parfait dans ce personnage de dandy looser qui relate avec amour les paradoxes des traditions culturelles auxquelles sa famille est attachée. Assurément la meilleure comédie depuis longtemps!
Tobias Sarrasin
Le Gang des bois du temple
de Rabah Ameur-Zaïmeche, France, 2022
Avec Le Gang des bois du temple, Rabah Ameur-Zaïmeche revient à la banlieue, territoire de son premier film Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe? (2001). Loin des représentations fascisantes de Bac Nord ou d’Athena, ce film magnifique prend le parti d’une bande de jeunes hommes souhaitant braquer un riche prince saoudien. C’est avec l’extraordinaire sens pictural qui le caractérise qu’Ameur-Zaïmeche dessine leur solidarité, laquelle est bien peu de choses face à la mort qui rode toujours à l’arrière-plan. Nous retiendrons à ce titre une sublimissime scène d’enterrement située au début du film, à coup sûr la plus belle vue au cinéma en 2023.
Sabrina Schwob
Nuit obscure - au revoir ici, n’importe où
de Sylvain George, France/Suisse, 2023
Après un premier opus, Nuit obscure - Feuillets sauvages qui relate, en noir et blanc, la vie de migrants arrivés à Melilla, enclave espagnole au Maroc, Sylvain George, prolonge sa recherche en se focalisant sur une partie de la population: les enfants et adolescents. Une image travaillée, avec des plans de la mer qui tendent à l’abstraction, et des plans d’ensemble, conduisant à une certaine distance, saisissent le quotidien de ces garçons. Mais loin de les observer avec un regard apitoyé, le réalisateur, tout en montrant leur misère, parvient à restituer la perception des protagonistes qui, bien qu’ils risquent leur vie, n’en demeurent pas moins des enfants. Ils introduisent ainsi dans leurs actions une part de jeu dont les conséquences peuvent néanmoins s’avérer fatales. Partir ou mourir, telle semble être l’alternative et leur vie, la mise à jouer.
Philippe Thonney
Plan 75
de Chie Hayakawa, Japon/France/Philippines/Qatar, 2022
Le 75 du titre, c’est l’âge à partir duquel les anciens sont concernés par ce plan mis en place par l’état. Pour réaliser des économies et «faire de la place», on propose à la vieille génération un accompagnement personnalisé, quelques menus cadeaux et une petite somme d’argent, afin de les inciter à accepter l’euthanasie. Cela ne se passe heureusement pas dans la réalité mais dans cet excellent film non pas de science-fiction mais d’anticipation. Tourné dans une pénombre évocatrice jusqu’à l’apparition de lumière accompagnant l’évolution très intelligente du scénario, Plan 75, tout en ne manquant pas d’humour, nous alerte sur la vigilance que nous ne devrons jamais cesser de conserver, afin que les valeurs humaines ne soient jamais remplacées par ce genre de projets.