L'édito de Kim Figuerola - Le néo-western: une approche transnationale et révisionniste

Le 10 avril 2024

Le magnifique mais dramatique film de Felipe Gálvez, The Settlers (2023), projeté lors de la dernière édition du FIFDH, fut une incitation à étudier la corrélation entre western et colonialisme.

Les origines du western se mêlent avec celles du cinéma. The Great Train Robbery (1903) d’Edwin S. Porter, considéré comme le premier du genre, avait conduit au foisonnement de courts métrages d’aventures et de conquêtes, auquel Hollywood contribuera fortement à son engouement quelques années plus tard. De Cecil B. DeMille, Raoul Walsh, John Ford, Arthur Penn, Samuel Fuller à Sam Peckinpah, sans oublier Sergio Leone, le western s’est exprimé sous diverses factures. Classique, baroque ou spaghetti, pour les critiques André Bazin et Jean-Louis Rieupeyrout, ce genre cinématographique se définit comme «le cinéma américain par excellence», qui véhicule des thèmes comme la frontière et les grandes plaines, la prospection de l’or, les hommes ou les bêtes. Mais deux thèmes sont particulièrement prépondérants: la naissance d’une nation et la guerre contre les Amérindien·ne·s. Alors que le western se charge d’une aura mythique en tant que construction d’une identité nationale, il se caractérise également comme un cinéma colonial.

Hervé Mayer, historien en Cinéma et en Civilisation américaine, émancipe les études du western du modèle de «l’exceptionnalisme» américain, pour les déplacer vers une histoire transnationale de l’impérialisme. Sous sa perspective révisionniste, le western peut ainsi être appréhendé en tant qu’expression d’un système qui oppose civilisation et sauvagerie, nature et culture, et dans lequel l’espace filmique représente le territoire de la colonisation. Les magnifiques étendues soi-disant désertes deviennent des paysages à conquérir et des vastes espaces de non-droit. Cet aspect-ci est révélateur d’une lutte sans merci entre les autochtones (souvent diabolisé·e·s) et les colons, pour l’occupation de terres non seulement réelles mais aussi cinématographiques. Selon Mayer, la construction de l’espace filmique est donc une mise en abyme d’une idéologie coloniale et de massacres rendus invisibles par la beauté des paysages, où racisme, violence et sexisme deviennent les attributs de l’identité politique de l’homme blanc dominant.

Dead Man (1995) de Jim Jarmusch, Jauja (2014) et le début d’Eureka (2023) de Lisandro Alonso, ou The Settlers, sont des néo-westerns qui déconstruisent le paradigme moderniste du genre. Ils en proposent une version métaphysique, absurde ou transnationale (voire les trois), en usant les caractéristiques habituelles. En tant que «médium historiographique», le western devient dès lors une réécriture de l’histoire du colonialisme occidental. En transposant les décors du film de l’Ouest américain en Patagonie, Alonso et Gálvez soulignent le transnationalisme du genre et inscrivent les histoires locales des génocides dans la grande Histoire.