Le Grand Entretien : Maral Mohsenin

Le 01 novembre 2023

Le Geneva International Film Festival (GIFF) a embauché Maral Mohsenin pour occuper le poste de responsable des programmes. Depuis septembre 2022, elle est chargée d’organiser les différents événements et projections lors du festival annuel. Avant cela, Maral Mohsenin travaillait comme conservatrice et restauratrice de films à la Cinémathèque suisse depuis 2016 jusqu’à cette année. En plus de ses activités professionnelles, elle a collaboré avec plusieurs festivals de cinéma en Suisse, notamment Visions du Réel et VIFFF.


Première question très simple: en quoi consiste concrètement votre travail pour le GIFF?


Je supervise toute la programmation du festival, et ce, pour nos trois formats (cinéma, séries, réalité virtuelle et augmentée). Cela signifie que je prends contact avec les ayants droit, fais de la prospection pour voir ce qui va sortir durant l’année, et organise les séances de visionnement pour le comité de sélection.


Et qu’est-ce qui préside à votre choix? Quels sont vos critères? La variété des propositions esthétiques par exemple?


La première chose qui nous guide, c’est le festival en tant que tel, car il a une identité artistique particulière que nous avons définie avec notre directrice artistique Anaïs Emery. Le GIFF est très orienté vers le futur: on s’intéresse donc aux nouvelles technologies, aux images et aux manières de raconter des histoires par les images. On souhaite trouver des œuvres qui proposent de nouvelles choses, que ce soit au niveau de la narration, de la forme ou de la représentation (par exemple des œuvres qui mettraient en scène des personnages que l’on voit rarement au cinéma). En bref, des œuvres qui vont au-delà de ce que l’on voit habituellement dans le cinéma mainstream, et même dans le cinéma d’auteur.


Justement! Cette distinction entre mainstream et cinéma d’auteur, est-ce que ce n’est pas quelque chose que vous souhaitez briser?


Absolument. Je pense que le cinéma, et plus généralement la création audiovisuelle par le fait que ce soient des arts justement visuels, peut être accessible à beaucoup plus de gens et ne doit jamais être confisqué par une certaine élite. On essaie donc au maximum de briser cette distinction entre œuvres dites élitistes et œuvres dites populaires. Pour nous, le langage audiovisuel a toutes les forces pour parler à tout le monde.


En parcourant la sélection de cette édition, on remarque une grande variété dans la provenance des œuvres sélectionnées avec plusieurs continents représentés. Également, dans la compétition Cinéma, parmi les douze films qui y figurent, la moitié sont réalisés par des réalisatrices. Est-ce que ces critères de représentativité et de parité sont importants pour vous?


C’est quelque chose dont on tient compte, mais ce n’est pas la ligne principale de la programmation. Pour un festival comme le GIFF qui cherche à donner à voir les grands champs des possibles de la création, cela reste important d’aller un peu partout et de ne pas se limiter aux pays occidentaux par exemple, afin de proposer des choses qui vont au-delà des habitudes des spectateurs. Mais ce qui prime pour nous, ça reste vraiment la cohérence artistique du programme. Par rapport à la parité des genres, c’est une question très importante et difficile pour le·la programmateur·rice. Ici, au GIFF, ce sont les femmes qui s’occupent majoritairement de la programmation. Cependant, au niveau des œuvres que l’on reçoit, la parité ne peut pas être garantie, car 80% de celles-ci sont réalisées par des hommes. Il y a cette idée que les festivals doivent faire plus pour garantir la parité, mais cette volonté se heurte à des critères très pratiques. Les festivals sont à la toute fin de la chaîne, or la parité devrait être là dès le début de la chaîne: dans les écoles de cinéma, les financements, la production, etc.


Vous proposez des séries dans votre programme. On a tendance parfois à opposer l’expérience d’un film en salle et la vision d’une série chez soi.


Ces oppositions sont un peu réductrices. Il y a une chose qui est très intéressante, c’est que si on regarde dans l’histoire de la création audiovisuelle, dès le début, dans les années 1910-1920, il n’y avait pas qu’un seul moyen de visionner des films. Bien sûr, il y avait la salle de cinéma qui allait un peu s’imposer à partir des années 1920, mais à côté de ce dispositif, existaient d’autres manières de voir des œuvres - on trouve par exemple des circuits alternatifs avec des projecteurs 16 mm. […] En bref le cinéma n’était pas toujours associé à une configuration particulière, il y avait au contraire une multiplicité des moyens de découvrir les films qui n’a fait que se renforcer au cours de l’histoire. Avec l’arrivée de la télévision dans les années 1950, on a commencé à faire des séries, c’est certain. Mais on s’est mis aussi à montrer des films sur le petit écran. Ce mode de consommation des films n’était pas forcément contradictoire avec la salle de cinéma, bien que cela ait été perçu comme tel. Aujourd’hui, le numérique a encore ajouté d’autres possibilités de découvrir des œuvres, et cela n’a arrêté ni le cinéma (la salle) ni la télévision. Pour les séries, cela fait une bonne dizaine d’années qu’elles sont montrées dans les salles. Le GIFF s’en est rendu compte assez tôt. Dès sa création dans les années 1990, le festival a voulu intégrer la télévision dans son programme.


Il y a d’ailleurs des sections de la programmation qui mélangent les trois formats (cinéma, séries, réalité virtuelle et augmentée), comme les catégories Future is sensible ou Pulsation.


En effet. On a une compétition par format, mais dans les autres sections, on mélange les formats, afin de voir leurs différences et similarités. Pour ce qui concerne Future is sensible, c’est une thématique qui réunit les œuvres: le futur. C’est une thématique très large, qui peut être abordée de plein de différentes manières. L’idée n’est donc pas de prendre seulement des films de science-fiction dystopique (Rires), mais de voir comment les formats produisent des visions différentes du futur. C’est la même idée pour la section Pulsation, qui est une catégorie qui regroupe des œuvres plus «de niche», plus radicales dans chaque format.


Cette volonté de dépasser les clivages entre les arts se voit dans les invités que vous conviez. En 2021, le bédéiste et cinéaste Riad Sattouf. Cette année Jean-Michel Jarre, musicien et créateur digital.


Absolument. Avec la ligne artistique du GIFF, cela nous paraissait assez évident d’inviter quelqu’un comme Jean-Michel Jarre, qui a composé des musiques de film et qui s’est surtout beaucoup investi dans les nouvelles technologies. Il a créé une œuvre qui s’appelle The Eye And I en collaboration avec Hsin-Chien Huang, œuvre que l’on présente en première mondiale. C’est une œuvre qui utilise son format pour parler de la société d’aujourd’hui, et notamment de la culture de la surveillance. Elle est très liée au monde numérique. C’est une expérience assez incroyable, mais je ne vais pas en dire plus. (Rires.)


Enfin, j’ai aperçu dans le programme que vous faisiez une collaboration avec le 48 Hour Project, concours qui donne la possibilité à des amateurs et cinéastes émergents de faire des films en 48 heures. Vous organisez deux séances de projection qui priment les meilleurs films. Est-ce que soutenir des cinéastes émergents, notamment sur la scène suisse, est aussi un des buts du GIFF?


Tout à fait. Cette collaboration existe depuis plusieurs années. Ce qui nous intéresse là-dedans, c’est que ces jeunes créateurs, qui font partie du projet, représentent une forme de relève. Leur mission est assez difficile, car ils ont 48 heures pour réaliser un film! Cette expérience peut pourquoi pas être le point de départ pour un talent émergeant. Et même si les gens qui font le concours ne font pas de film par la suite, c’est quand même intéressant, car cela atteste de la vivacité artistique et de la soif de création qui existe dans le pays.


Propos recueillis par Tobias Sarrasin