Le Grand Entretien : Loïc Valceschini (NIFFF)

Le 21 juin 2023

NIFFF 2023 – 30 juin au 8 juillet

 

Les monstres, les vampires, les fantômes et autres créatures nées des entrailles de nos cerveaux ou de nos tripes envahissent à nouveau Neuchâtel. Cette année, l’hôte d’honneur étant nul autre que le formidable mais trop peu connu cinéaste japonais Katsuhito Ishii (Taste of Tea), nous nous sommes dit que cela serait une excellente occasion de nous entretenir avec Loïc Valceschini, responsable des programmations asiatiques du Neuchâtel International Fantastic Film Festival. Davantage qu’un aller-retour de questions et de réponses, nous avons laissé Loïc nous parler de la programmation de cette édition.


L’Asie au NIFFF


La présence de l’Asie au NIFFF remonte déjà à la toute naissance du festival. Les cinémas asiatiques ont toujours été importants pour le festival, premièrement car c’est un cinéma que le spectateur occidental et a fortiori helvétique ne voit que peu ou prou hors des pays où il est produit. Et secondement, car les films asiatiques qui nous parviennent sont majoritairement issus des grosses pointures telles que les Festivals de Cannes, de Locarno, la Berlinale, etc. et donc, qui se rapprochent davantage d’un cinéma d’auteur qui plaît surtout à nos palais cinéphiles, mais ne reflètent pas nécessairement le goût populaire. Or le cinéma asiatique s’est constitué dès ces débuts autour du cinéma de genre. D’où la compétition du cinéma asiatique dans le festival qui donne une voix aux auteurs émergents de ces pays.


La compétition du cinéma asiatique


Comme chaque année, nous proposons 8 films en compétition asiatique. Il y a quelques perles dont j’aurais aimé parler.

À commencer par la comédie horrifique Bhediya d’Amar Kaushik, qui nous vient de Bollywood ! Non seulement le film est très drôle et léger, mais il y est aussi question de loups-garous, et ils sont plutôt rares dans les productions bollywoodiennes. Mais ce n’est pas tout. L’histoire se déroule non loin d’une frontière commune avec la Chine, et est résolument anticapitaliste. Du cinéma populaire mais qui n’a pas peur d’être engagé.


Il y a aussi Mad Fate de Soi Cheang, présenté en première à la Berlinale 2021. Drame urbain noir, avec une grosse portée allégorique qui questionne les rapports à la superstition et les croyances populaires qui préfèrent le statu quo au changement. Autrement dit, une critique à peine voilée du pouvoir en place.


Nous aurons également la chance d’avoir la première internationale de From The End of The World du cinéaste japonais Kiriya Kazuaki, l’auteur du visionnaire Casshern en 2004. Tout indépendant qu’il soit, ce film n’en a pas moins une portée grand public et ressemble à des titres comme Cloud Atlas ou The Fountain. Mais surtout, c’est son discours optimiste pour les jeunes gens d’aujourd’hui qui nous a marqués.


Katsuhito Ishii


C’est un honneur pour nous de pouvoir montrer 6 longs et un moyen métrage d’Ishii, qui sera présent sur le festival. Ses quatre premiers films ont été restaurés, et nous pouvons nous targuer de les projeter en première mondiale.


Il participera d’ailleurs à un cycle de conférences autour de la présence de l’animation dans son cinéma, pas forcément parce qu’il a réalisé des films d’animation, mais parce que son cinéma est empreint d’animation : dans le découpage, les gags, les visuels, etc.


Courts métrages asiatiques


À partir de 2014, le festival a commencé à proposer un programme de courts métrages asiatiques. C’était pour nous une manière de donner une visibilité aux films issus d’écoles mais aussi à un format un peu oublié aujourd’hui, mais qui continue d’être investi même par de grands réalisateurs.


Et s’il y a un court métrage à relever absolument, c’est The New Tale of Rat Wife, film de diplôme d’une réalisatrice coréenne Kim Yoon-sun. C’est le film qui m’a le plus bluffé en termes de mise en scène : les mouvements de caméra dans les plans, les éclairages, c’est d’une richesse qui me rappelle Im Sang-Soo. Un film très drôle qui critique la société coréenne patriarcale ainsi que les rapports hiérarchiques encore très présents dans la structure familiale du pays.


Et je mentionnerai encore Hito de Stephen Lopez, un film ahurissant dans sa liberté formelle, véritable coming-of-age pop, et un récit important sur la situation politique aux Philippines.


En compétition internationale


Cette année nous avons aussi un film asiatique en compétition internationale, Tiger Stripes, film malaisien, d’Amanda Nell-Eu. Un film qui nous parle de l’oppression religieuse et patriarcale en Malaisie dans une communauté rurale, au travers du récit d’un groupe de jeunes filles qui découvrent la puberté, sujet hautement tabou dans ce pays conservateur. Et malgré la lourdeur apparente du sujet, le film parvient à rester ludique. Quant à Amanda Nell-Eu, elle sort du Berlinale Talent Campus ainsi que de la Locarno Filmmakers Academy, résidences pendant lesquelles elle avait travaillé sur ce filmC’est donc projet de plusieurs années, ambitieux, qu’elle présentera en personne à Neuchâtel.

 

Female Trouble


Cette section rétrospective est dédiée aux représentations des archétypes féminins dans le cinéma de genre. L’occasion de montrer des films de genre moins connus d’Asie. J’ai voulu mettre en avant les nüxia, chevalières héritées de la tradition littéraire chinoise, qui existent dans la l’imaginaire culturel depuis des siècles, et qui ont été présentes dans les films de cape et d’épées dès les années 1920 en Chine. Cependant, ces premiers films ont disparu à cause de la censure. Il faut attendre les années 1960 pour les voir réapparaître à l’écran. Si on a choisi le film hongkongais Lady With A Sword de Kao Pao-Shu (1971), c’est qu’il s’agit d’un exemple moins connu du genre, et qu’il a été réalisé par une femme, ce qui a cette époque était rare.


Nous mettons en avant aussi un sous-genre de films d’action, « girl with guns », proéminent à Hong-King entre 1985 et le début des années 1990. Le film qui a lancé ce sous-genre est Yes, Madam ! de Corey Yuen en 1985 et qui est le premier film dans lequel joue l’actrice Michelle Yeoh !

 

Third Kind


Dans la section Third Kind, section qui joue avec la lisière du genre, on proposera deux films asiatiques.


Le premier, Kennedy, film indien réalisé par Anurag Kashyap. On avait accueilli le cinéaste en 2016 lors d’une rétrospective bollywoodienne car même s’il existe hors de ces circuits, il en utilise les codes pour critiquer le système politique de son pays. Un film noir radical qui parle de la corruption du gouvernement et qui fait écho à la crise du COVID dans le pays.


Enfin, dans un registre moins grave, Cobweb de Kim Jee-Woon. Un film dans le film, où un réalisateur essaie de mener à bien un projet de film grandiloquent qui mélange tous les genres dans la Corée des années 1970 envers et contre tous : problèmes de censure, égos surdimensionnés des acteurs, une productrice folle…


Propos recueillis par Anthony Bekirov