Le Grand Entretien: Just Philippot
Le 23 août 2023
C’est lors du dernier jour du NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) que nous rencontrons Just Philippot. Le réalisateur du remarqué La Nuée et, avant ça, du court métrage Acide nous rejoint sur la terrasse d’un hôtel surplombant le plus grand lac non frontalier de Suisse. À l’horizon, les nuages qui ont menacés toute la matinée s’éloignent et nous laissent gaiement aborder le long métrage qui clôturera le festival le soir même. Intitulé lui aussi Acide, il reprend le concept de base du court métrage: une famille tente d’échapper désespérément aux pluies acides qui s’abattent sur la planète.
Acide, c’est d’abord un court métrage, pourquoi avoir eu envie d’en faire un long?
J’ai toujours eu l’envie d’aller vers le long métrage. À l’issue du court, qui a eu une réception positive, j’ai senti un engouement de la part de plusieurs producteurs pour le concept d’Acide. J’ai senti que ça pouvait être le bon moyen d’aller vers un premier film, mais on m’a proposé le scénario de La Nuée qui a été une super première expérience de long métrage. Ça m’a également donné du temps pour écrire Acide et pour me nourrir d’une envie d’aller beaucoup plus loin que le court métrage. Comme tout le monde, j’ai traversé les catastrophes qui nous ont chamboulés et l’écriture d’Acide a été alimentée par ces crises et ce regard que je leur porte. J’ai aussi pu aborder des thématiques sur la famille, sur comment une ado va devenir adulte, sur nos angoisses liées à l’écologie.
La notion de famille est justement très présente dans votre filmographie, quel est votre rapport à cette thématique?
Elle est liée à quelque chose de très personnel qui est pour moi fondamental. J’ai grandi dans une famille nombreuse aux côtés d’un grand frère polyhandicapé à 99%. Il ne parlait pas, je ne savais pas s’il était aveugle ou sourd. Ce handicap a rendu nos contacts très étranges, de l’ordre du sensoriel. Cette unité a été très intéressante parce qu’elle était aussi source de déséquilibre, parce qu’un enfant handicapé au milieu d’une famille, c’est le regard des autres sur nous. Au décès de mon frère, une nouvelle famille s’est créée de par son absence. Et donc, dans tous mes films, j’ai eu constamment l’impression de traiter de la famille et je dirais même de tous les accidents qui pouvaient la fragiliser.
Concernant Acide, ce qui me paraissait très important, c’est de parler d’un danger qui ne serait pas extérieur à la famille, mais intérieur et qui pourrait la faire imploser. Je crois que c’est ce qui m’intéressait: raconter deux catastrophes. La première est écologique et la deuxième, ce sont ces hommes et ces femmes qui sont porteurs d’un désespoir et d’un mal-être tels que tous les choix qu’ils feront seront les mauvais, notamment pour leurs enfants.
L’âge de l’enfant n’est pas le même entre le court et le long métrage, tout comme sa compréhension de ce qu’il se passe, était-ce une volonté de représenter une certaine prise de conscience?
Sur le court, je me posais constamment la question de savoir à quel moment les enfants deviennent adultes et j’ai l’impression que d’année en année, ils le deviennent de plus en plus jeunes. Contrairement au court métrage, dans le long, je voulais rendre actif le jeune personnage qui devait être capable de prendre des décisions, d’avoir un regard et une idée des choses. C’est presque le personnage principal de cette histoire qui se déroule à travers son regard. Je devais donc rendre ce regard le plus complexe et le plus intéressant possible, c’était primordial.
Le film clôt la 22e édition du NIFFF. Le cinéma de genre, ou plus précisément fantastique, est-ce pour vous le meilleur moyen d’aborder ces différentes thématiques?
Je n’en sais rien. Je suis embêté par ces dénominations parce que ce qu’on appelle film de genre en France, on l’appelle cinéma partout ailleurs. Si je devais employer le terme fantastique, ce serait plus en rapport avec les outils que j’utilise, comme des effets de mouvement, de la musique… Ce que j’aime dans une salle de cinéma, c’est de ressentir des émotions fortes. Et je trouve que ces outils permettent de renforcer ces émotions. C’est la grandiloquence de la salle de cinéma.
Lors de l’écriture d’Acide, aviez-vous des références particulières?
Je m’inspire beaucoup du documentaire dont un qui est pour moi un vrai film d’horreur, c’est Un pays qui se tient sage de David Dufresne. J’ai aussi regardé différents documentaires sur des conflits sociaux. Ça, ce sont les vraies références.
Ensuite, il y a des références plus éloignées comme Les Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón ou La Guerre des mondes de Steven Spielberg. J’aime également citer Requiem pour un massacre d’Elem Klimov parce que c’est un film qui m’a marqué, et que j’ai encore dans la peau. Souvent, quand je présentais Acide, je disais que j’avais envie d’en faire un film comme les Russes. J’ai l’impression que le cinéma russe est capable d’aller au bout des choses, sans complaisance, sans chichis. Et j’avais le souhait d’utiliser cette même brutalité.
En parlant de brutalité, le personnage de Michal est très énervé. Comment s’est fait le choix de Guillaume Canet dans ce registre qu’on lui connaît peu?
En voyant La Prochaine Fois je viserai le cœur, Rock’n Roll ou même Une vie meilleure. Je trouve qu’il a une filmographie merveilleuse qui montre sa capacité à endosser des rôles durs, joyeux, drôles… Mais ce que j’ai trouvé le plus intéressant, c’est la possibilité d’être porteur d’une noirceur. Ce qui m’intéressait, c’était de construire un danger sur ce personnage. Et Guillaume a une capacité à ne rien dire, à ne rien montrer. C’est un acteur formidable qui prépare énormément les choses.
Vous avez également beaucoup échangé avec lui sur son personnage, sur le scénario…
Je travaille comme ça avec tous mes collaborateurs et toutes mes collaboratrices. Je ne suis pas dépositaire de toutes les bonnes idées. J’ai besoin qu’on me propose des choses et à partir de là, je choisis, je fais le tri. Quand ça me parle, tant mieux quand ça ne me parle pas, j’évacue. Je propose un mouvement et j’ai besoin qu’il soit constitué de nouveaux mouvements à l’intérieur. Avec Guillaume, on a eu le même souhait de pousser Michal le plus loin possible. Donc oui, il a été moteur de superbes idées.
Comment avez-vous abordé les scènes d’action pour créer cette tension et ce côté inéluctable de la pluie qui arrive et dont il faut se protéger?
La première chose, c’est qu’en pensant au concept de la pluie, je me suis très vite dit qu’il fallait le nourrir. C’est-à-dire qu’il fallait éviter d’avoir simplement un nuage bête et méchant qui vient tabasser tout le monde. Il fallait réussir à constituer une gradation du danger. Pour cela, je me suis inspiré du cycle de l’eau. Ça tombe, ça va dans les nappes phréatiques… Si le cycle de l’eau est contaminé, tout est contaminé, j’ai donc tenté de tout contaminer ou de rendre tout contaminable.
Ensuite, j’ai réfléchi à des mécanismes de danger pour créer des péripéties et de les structurer de façon cohérente, en m’inspirant de toutes les crises qu’on a traversées. On a vraiment tenté de coller aux règles des catastrophes d’aujourd’hui, où tous les endroits du globe sont touchés. Ce n’est pas parce qu’il y a une fonte d’un iceberg dans le nord qu’on ne sera pas impactés dans le sud. En fait, je voulais constamment proposer un miroir hyper réaliste au spectateur et de ne pas lui donner le plaisir de la fiction, mais plutôt le déplaisir du documentaire.
Propos recueillis par Marvin Ancian le 8 juillet à Neuchâtel