Le Grand Entretien : Julien Rejl

Le 04 octobre 2023

Après avoir été distributeur pour Capricci et journaliste, le nouvellement nommé délégué général de la Quinzaine des cinéastes (anciennement Quinzaine des réalisateurs), Julien Rejl est venu à la Cinémathèque suisse ce mardi 19 septembre pour introduire l’avant-première du dernier film du réalisateur coréen Hong Sang-soo De nos jours..., à l’occasion de la reprise dans le programme de la Cinémathèque des films projetés lors de la Quinzaine 2023. Nous l’avons rencontré pour lui poser quelques questions sur cette nouvelle mouture de cette célèbre sélection cannoise.


Une question toute simple pour commencer: pourquoi ce changement de nom?


Tu poses la question pour laquelle je ne suis malheureusement redevable de rien, puisqu’il s’agit d’un choix de la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF) qui, je pense, au moment de la réélection d’un nouveau délégué général, avait aussi envie de s’inscrire, j’imagine, politiquement dans le temps, dans un débat contemporain autour de la question de l’inclusivité, de l’inclusion. Parce qu’en fait, quand j’ai passé les entretiens avant d’être retenu pour ce poste, la terminologie n’était pas encore arrêtée. Je pense que moi, en tout cas dans mon programme, je mettais en avant le fait que je souhaitais qu’au sein du comité de sélection, il y ait une parité sur les sélectionneurs pour rééquilibrer les regards sur les films. Je pense que l’un dans l’autre, les deux se sont rencontrés. La volonté des cinéastes de la SRF de rompre avec une tradition jugée masculiniste; et ma volonté de mettre sur pied un comité paritaire, qui était pour moi la meilleure façon de répondre à la nécessité d’avoir une sélection plus diversifiée.


Est-ce que tu fais attention à cette parité dans la sélection des films?


Non, justement. Pour moi, la véritable question de la parité, elle se situe au niveau des regards. Au moment où on découvre les films, au moment où on va chercher les films, évidemment, on a des statistiques. On sait à l’avance que le nombre de films de femmes, le nombre de films africains, le nombre de films de certains pays sud-américains, etc., est statistiquement représenté de manière inférieure à d’autres catégories. La question qu’on se pose, c’est «pour quelles raisons?» À un moment, nous, on est là pour être le reflet de la production mondiale, on n’est pas là pour l’infléchir. Mais s’il y a des phénomènes d’autocensure ou de films qui n’arrivent pas jusqu’à nous parce qu’ils n’ont pas les canaux pour arriver jusqu’à nous, c’est à nous d’essayer de faciliter que ces films arrivent jusqu’à nous pour qu’ils soient considérés au même titre que les autres. Pour moi, l’égalité, l’absence de chance de hiérarchie entre les films doit se jouer à ce niveau-là et c’est de donner la chance à chacun. Une fois que cet appel à projets est fait et qu’on a porté une attention particulière à des films qui sont soi-disant sous-représentés de par leur nature, de par leur origine, de par leur sexe, on regarde les films comme des films, c’est-à-dire qu’une fois qu’on est face aux films, il n’y a plus de sexe, il n’y a plus de nationalité, il n’y a plus rien qui compte, il n’y a plus que la mise en scène, il n’y a plus que le regard d’un cinéaste, quel qu’il soit.

Et moi, je tiens à ce principe-là d’égalité entre les films. À un moment, ce sont les meilleurs films qui doivent arriver à Cannes, en tout cas à la Quinzaine, indépendamment de tout autre critère.


Si ces questions ne déterminent pas ta nouvelle ligne éditoriale, qu’est-ce qui, justement, l’influence?


Ce qui la détermine avant tout, c’est qu’on est à la recherche de singularités, c’est-à-dire des œuvres qui inventent ou du moins qui arrivent à s’exprimer avec une langue cinématographique qui est unique à un créateur ou une créatrice. Ça signifie forcément en termes de cinéma des questions de mise en scène, des questions de montage, puisque les films - et c’est le point de vue que je défends - s’écrivent avant tout avec de la mise en scène et avec du montage. En d’autres termes, ça veut dire qu’on ne privilégie pas les films à sujet, les films de scénario. Il faut mettre des guillemets à tout ça parce que je ne veux pas opposer bêtement le scénario à la mise en scène, à la forme, etc. Évidemment que les meilleurs films sont les films qui entremêlent ou on n’arrive plus à distinguer forme et fond puisque l’identité du film, la singularité du film est telle que tout concourt a dégagé une personnalité, un regard qui est unique. J’essaye de le présenter comme ça, parce qu’encore une fois, d’une part, il n’y a pas de quota, donc l’idée n’est pas d’être représentatif de tel ou tel territoire, de tel ou tel courant.

Encore une fois, on cherche les films dans cette singularité qui vont nous paraître les plus audacieux, les plus originaux. Je tiens beaucoup aussi aux cinéastes qui arrivent à être politiquement incorrects, qui ont une certaine forme d’impertinence. Tout ce qui s’écarte des discours dominants qui, avec des questions proprement cinématographiques, arrivent à se sortir, à se dégager des représentations conventionnelles dominantes pour raconter une histoire, pour tenir un discours sur tel ou tel sujet. C’est ça qui va m’intéresser. Ça reste quelque chose de suffisamment large puisque maintenant, quand on a dit ça, c’est une affaire de regard, de goût. Quelqu’un pourra avoir le même discours que moi et pas choisir les mêmes films. Après, évidemment, moi, je m’inscris dans une tradition cinéphile qui est aussi celle de la Quinzaine.


Quels ont été les retours au sujet de cette nouvelle mouture?


J’ai le sentiment que les retours sont très positifs. La SRF a l’air très satisfaite et les critiques pendant Cannes avaient l’air aussi assez enthousiastes. J’ai lu dans les papiers qui sont sortis pendant et après le festival que la Quinzaine avait retrouvé le goût d’aller hors des sentiers battus, qu’il y avait une personnalité qui commençait à se dégager déjà de cette première édition. Évidemment que ça me conforte dans mon projet. J’avais dit en conférence de presse, et cela de manière tout à fait pacifique, que je ne voulais pas que la Quinzaine soit le lieu où l’on accueille les rebuts de la Compétition principale, ce que l’on avait parfois pu observer durant ces dernières années. Ces retours positifs m’ont donc confirmé que mon équipe et moi-même pouvions persévérer dans cette voie, et être encore plus audacieux.


Enfin, tu as pas mal privilégié les premiers films cette année. Pourtant, tu as accueilli des cinéastes chevronnés, et notamment Hong Sang-soo.


En tant que première année il faut aussi que je montre certaines de mes références. Hong Sang-soo, qu’on ne présente plus, est un cinéaste qui tourne beaucoup, qui a plus besoin de reconnaissance, mais qui fait un film qui je pense aujourd’hui ne se retrouverait pas en Compétition et cela m’a intéressé. C’est un film que je trouve minimaliste, qui cultive une forme d’humilité, ce qui est à mes yeux une très grande qualité. C’est-à-dire que le film n’a aucune prétention. Le film a été fait très rapidement, dans une économie ultra-modeste, et en grande partie improvisé. J’ai aimé le fait qu’il déplace tous les discours qu’un homme vieillissant ou un «sachant» puisse avoir non pas sur de la sagesse, sur les choses très triviales de la vie: la nourriture, l’alcool, les relations… En mettant ce film en clôture de la Quinzaine j’avais voulu ne pas lui donner trop de place non plus, mais laisser quand même les spectateurs sur un «petit sucre» avant de partir.


Propos recueillis par Anthony Bekirov