Le grand entretien – Elie Grappe: «Lorsque j'ai découvert Ce Sport, Je l’ai Trouve Incroyablement Cinégénique»

Le 17 novembre 2021

Elie Grappe est le réalisateur du film Olga. Présenté l’été dernier à la Semaine de la critique du Festival de Cannes, le long métrage narre le parcours d’une jeune gymnaste ukrainienne exilée en Suisse au moment de la révolte d’Euromaïdan à Kiev.


Elie Grappe a étudié la musique classique pendant dix ans avant de rejoindre le département Cinéma de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL). Olga est son premier long métrage, après avoir réalisé quatre courts. En pleine promotion du film, entre Los Angeles (le film représente la Suisse aux Oscars) et la France, il était de passage à Lausanne. L’occasion de lui poser quelques questions.


Pourquoi avoir choisi le milieu de la gymnastique?

C’était dans la continuité de mes recherches sur les conservatoires, la danse et l’exigence qu’ont de jeunes gens au nom de leur passion. La gymnastique est un sport à la fois individuel et collectif. Et donc intéressant pour tisser le drame d’Olga. Les premières fois que je suis allé voir ce sport, je l’ai trouvé incroyablement cinégénique, avec ses mouvements, ses sons. Ça m’a tout de suite donné envie de filmer. Au fond, ce qui m’intéresse, c’est moins la gymnastique comme discipline que sa pratique. Tout ce qui se passe entre les figures, par exemple quand les athlètes chutent, se préparent ou se regardent. Je trouve que toute leur vulnérabilité apparaît dans ces moments-là.


Vous parlez du son, pourquoi est-il important?

Il fallait qu’il soit dans le même équilibre que l’image, pour essayer de toucher à l’intériorité d’Olga. Les sensations d’équilibre, de légèreté et de vertige qu’on a cherchées à l’image étaient aussi essentielles au niveau sonore. Étrangement, le son de Maïdan (la révolte ukrainienne à Kiev, n.d.l.r.) ressemble à celui de la gymnastique, avec ses détonations, ses claquements. C’est comme si, à partir du moment où Olga regarde les premières images de la révolution, elle ne peut plus revenir à la gymnastique sans entendre les bruits de la révolution.


Comment vous est venue l’idée d’aborder la révolution d’Euromaïdan parallèlement à la gymnastique?

Après l’ECAL, j’ai coréalisé un documentaire qui suivait un orchestre dans lequel il y avait une violoniste ukrainienne qui m’a raconté comment elle est arrivée en Suisse juste avant la révolution. Elle me parlait déjà de la façon dont les images l’avaient imprégnée jusque dans sa pratique musicale. Je me suis entouré d’interlocutrices et d’interlocuteurs ukrainiens, dès le début de l’écriture et jusqu’à la fin du mixage, afin d’essayer d’être dans une recherche presque documentaire. Ce sont d’ailleurs des gens qui ont directement participé à la révolution.


Pour quelle raison avez-vous utilisé les images réelles de la révolte ukrainienne?

Très vite, je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas reproduire les barricades, qu’il ne fallait pas faire du faux avec cette histoire. Je trouvais plus honnête de se confronter aux images produites par les gens. Ce sont des images accessibles en provenance d’internet. J’ai tout de suite été happé par leur intensité, leur physicalité. Elles sont complètement fantasmatiques et convoquent l’imaginaire d’Olga. Par cette articulation entre l’univers sonore entourant la gymnaste et les images troublées de Kiev, Olga se retrouve dans un monde flottant, dans un espace complètement entre deux.


Est-il aussi important qu’Olga soit une adolescente?

C’est une période charnière au sujet de la question de l’identité, qui s’exprime jusque dans le corps. Et c’est aussi le pic dans la carrière des gymnastes. Toute la question que pose le film, c’est comment Olga va concilier ce désir intime, cette passion pour la gymnastique avec le cours de l’histoire, plus large, plus collectif, et qui va la dépasser.


Comment s’est passée la rencontre avec l’actrice principale, Anastasia Budiashkina?

Je l’ai vue pour la première fois à Berne, en 2016, au Championnat européen. Je suis ensuite allé au centre olympique en Ukraine et je me rappelle, alors que les gens se retournaient sur notre passage, qu’Anastasia n’en avait rien à faire et restait concentrée sur ce qu’elle faisait. Elle avait une intensité que je n’avais pas du tout envie de contrôler. J’ai alors voulu organiser un espace qu’elle allait pouvoir remplir avec ses mots, ses émotions, ses réactions. Je suis content de lui avoir fait confiance parce que je crois qu’elle révèle davantage le personnage que ce que j’avais imaginé.


Les autres gymnastes dans le film sont également de vraies athlètes.

Oui, il y a des gymnastes de l’équipe nationale suisse et le coach est celui de l’équipe nationale. En fait, c’est une équipe fictive, mais composée de vraies athlètes.


Comment cela a-t-il influencé le tournage?

Ça l’a facilité parce qu’il n’est pas possible de demander à des actrices la même chose qu’à des gymnastes. Le film se base énormément sur leurs expériences à elles, sur la façon qu’elles ont de se préparer, de bouger, de marcher. Pour la réalisation de toutes les figures aussi, c’est plus simple de travailler avec des athlètes qu’avec des comédiennes. Je n’ai pas eu besoin de leur demander de se transformer complètement, alors que j’aurais dû le faire avec des actrices.


Ce n’était pas envisageable de tourner ailleurs qu’au centre sportif de Macolin?

Dès le début de l’écriture, je savais que je voulais tourner à Macolin. En un plan, on sait que c’est le centre olympique, il n’y a pas de doute, ni dans la salle, ni dans les extérieurs. Tout est vitré, tout a la même identité architecturale, c’est très clair. Et ça dénote tellement avec les espaces en Ukraine que je trouvais le contraste intéressant.


Olga a une très belle relation avec son amie restée en Ukraine, Sasha, malgré leurs différences et la distance.

Je n’avais pas envie que ce soit la gym qui les éloigne, ça aurait été beaucoup trop simple. J’adore le fait qu’elles restent amies pendant tout le film, même si elles s’engueulent sur la révolution. Si elles ne s’aimaient pas, elles n’auraient pas les mêmes questionnements. C’était important de marquer ce lien très fort, malgré la distance.


Le film représente la Suisse aux Oscars. Une fierté particulière?

C’est une grande fierté, pas seulement pour le film, mais pour toutes les personnes qui m’ont accompagné avec toutes leurs tripes et tout leur art, pendant des années. Et qui ont permis que le film reprenne après l’interruption liée au Covid. C’est une très belle façon de les remercier.


Propos recueillis par Marvin Ancian