Le Grand Entretien – C.J. «Fiery» Obasi

Le 06 septembre 2023

Le réalisateur nigérian de Mami Wata était présent lors du Festival Cinémas d’Afrique - Lausanne pour accompagner son troisième long métrage qui a connu sa première mondiale au Festival Sundance où il a reçu le Prix spécial World Cinema Dramatic de la Meilleure photographie. C’est sur l’élégante terrasse de la brasserie abritée par la Cinémathèque, en un dimanche matin tropical, qu’il a répondu à nos questions.


Pouvez-vous me parler du processus qui a mené au tournage du film?


Tout a commencé avec une vision de Mama Wata qui est par la suite devenue la dernière scène du film. J’ai écrit neuf versions du scénario de mon côté, puis j’ai décidé que j’avais besoin d’aide. J’ai alors commencé une tournée de laboratoires qui a duré entre 2018 et 2020. Tout d’abord au FESPACO à Ouagadougou, un des plus importants sur le continent africain. Puis j’ai participé à d’autres labos en Europe et en Amérique latine. C’était un processus en soi d’essayer de comprendre le langage que je voulais utiliser pour raconter cette histoire avec une portée universelle.

Le tournage a commencé seulement en 2021, car cela a pris du temps pour rassembler les fonds, et également en raison du COVID.


À quelle étape de travail avez-vous choisi d’inclure des éléments de genre dans ce projet?


Des éléments, je dirais «traditionnels», ont fait partie du projet dès le début, mais cela m’a pris du temps d’aller au-delà de ces derniers en tant que fan de cinéma de genre. La manière dont j’ai pu dépasser cela et travailler plus en profondeur a été de réaliser que je voulais rendre hommage à mes sœurs aînées disparues. Et dont je n’avais jusqu’ici aucune représentation sur des écrans. C’était en quelque sorte la «pièce manquante» et lorsque j’ai mis le doigt dessus j’ai ensuite pu aller de l’avant avec d’autres thématiques dont certaines sont de nature plus politiques. Après cette tournée des laboratoires, j’ai entamé un chemin intérieur pour choisir quelle histoire j’avais envie de raconter.


Comment s’est déroulée la réception du film, et les échanges avec le public jusqu’ici?


Après Sundance, nous avons montré le film au FESPACO et la réception a été incroyable. Nous avons gagné trois prix. Depuis, nous n’avons plus eu de projection en Afrique. J’aimerais que le film sorte dans les salles sur ce continent. Nous avons une distribution pour l’Amérique du Nord et l’Europe, alors nous cherchons également à ce qu’ils connaissent une sortie dans ces régions. Malheureusement, il est plus facile de trouver un distributeur qui se charge de la diffusion d’un blockbuster américain. Heureusement, nous avons réussi à faire que ce film trouve le chemin des salles en Afrique francophone et au Nigéria, dans douze pays au total pour le moment.

D’une certaine façon la réception en Afrique est différente en raison des connexions culturelles. Mais même au Festival Sundance, des personnes issues des nations premières américaines, des Latinos, mais également des Américains blancs sont venus me dire qu’ils se sentaient profondément connectés avec l’aspect spirituel de ce film. Au FESPACO, c’était spécial en raison du fait que le projet y avait connu une étape importante. Des gens sont venus en larmes vers moi me dire: «Vive le cinéma africain!»


Est-ce que le réalisme magique et les cinémas latino-américains étaient des références que vous aviez en tête pendant que vous avez élaboré ce projet?


Je regarde beaucoup de films sud-américains bien que ce soit compliqué d’y avoir accès dans mon pays. El abrazo de la serpiente (Ciro Guerra, Mexique, 2016) est un de mes films préférés. J’aime son ton réflexif et le fait qu’il constitue une véritable expérience spirituelle. C’est ce que j’ai toujours souhaité pour Mami Wata. Il n’y a pas forcément de lien direct, mais ils sont très proches au niveau philosophique. Ce film latino est probablement celui qui a été le plus inspirant tout au long de ce projet. Par ailleurs, ma directrice de la photographie est brésilienne, peut-être que cela a aussi impacté le film.


Qu’en est-il du choix de la musique?


C’est un élément très important du film. J’ai travaillé avec Tunde Jegede, il a composé la musique originale. C’est un maestro qui a grandi parmi les griots en Gambie. Je l’ai découvert lors d’un concert à Lagos en 2015 et j’étais sûr que je voulais qu’il se charge de la musique de mon prochain film. Je voulais qu’elle reflète l’Afrique de l’Ouest. Ses compositions sonnent à la fois anciennes, et modernes. Il a réussi à cristalliser ce que fait l’essence de Mami Wata et à trouver une forme d’équilibre. La bande-annonce comporte également la voix de la chanteuse guinéenne, qui est sa sœur.


Propos recueillis par Noémie Baume