Le Grand Entretien : Anthony Chen

Le 08 février 2024

Un hiver à Yanji (The Breaking Ice) sort cette semaine sur les écrans romands. Nous avions rencontré son réalisateur Anthony Chen à l’occasion du Zurich Film Festival cet automne. À 39 ans, il a déjà à son actif cinq longs métrages, dont son premier Ilo Ilo avait été récompensé par la Caméra d’or à Cannes en 2013.


     Pouvez-vous nous parler du processus qui a mené au tournage de ce film?

     C’était assez intéressant. Il a été vraiment différent dans la manière dont j’ai écrit mes films précédents. J’ai passé environ deux ans à écrire celui-ci et à élaborer sa structure et à construire les personnages. Ensuite, j’ai décidé de chercher dans quels espaces j’allais tourner. D’ailleurs, nous n’avons pas du tout travaillé en studio, malgré les conditions extrêmes dans le nord de la Chine où les températures oscillaient entre -20 et -30 degrés. Contrairement aux autres films, j’ai ajouté de nombreux éléments au scénario au fur et à mesure que je les découvrais. Par exemple la légende coréenne au sujet de l’ours et du tigre.

     Je n’avais jamais été plus au nord de Pékin, mais je savais que je voulais tourner dans des paysages sauvages et recouverts de neige. Je suis tombé sur les images de cette région sur Google Maps, et j’ai été vraiment impressionné. Nous nous y sommes ensuite rendus avec mon producteur et, lors d’une excursion sur le sommet de la montagne, j’ai vu le lac, je me suis dit: «C’est là que j’ai envie que le film se termine». Je savais que le film se terminerait dans des paysages naturels et commencerait dans une ville. Nous avons donc cherché un espace urbain dans la région et c’est finalement une cité située à proximité de la frontière coréenne que j’ai choisie.


     Est-ce que le contexte de la pandémie, et en particulier des confinements, a influencé votre processus d’écriture?

     Je dirais que ce scénario est ma réponse au fait d’avoir passé deux ans à la maison. J’ai expérimenté une véritable crise existentielle durant cette période où les cinémas étaient fermés. Ma femme a continué de travailler dans la finance, à distance, quant à moi, j’ai pris soin de mon fils, alors âgé de 18 mois, et de la maison. J’étais un mari et un père, mais je n’étais pas sûr de faire à nouveau des films. Je me suis senti dépossédé de mon identité de réalisateur. J’ai alors lu beaucoup d’articles sur les jeunes qui se sentaient à la fois laissés de côté, et d’une certaine manière sacrifiés par le reste de la société. J’ai voulu donner à voir ce sentiment de vide et d’anxiété. C’est cela que j’ai voulu saisir et qui imprègne une partie des atmosphères du film.


          Comment avez-vous cherché à figurer ces sentiments très forts de peur et d’anxiété que vivent vos personnages?

     J’ai essayé de le faire de la manière la plus poétique et aérienne possible. C’est pour cela que j’ai décidé que l’action du film se passerait tout entière dans un laps de temps limité de quelques jours. Mon attention s’est rapidement portée sur la glace et son caractère très éphémère. Il se reflète dans les moments que mes personnages partagent car ils sont de nature transitoire, et c’est cela que j’ai voulu retransmettre. Tout se passe entre eux si rapidement. Ils ne se connaissent pas, mais tout prend fin très rapidement aussi. Pourtant, ce qu’il reste de ce qu’ils ont partagé, que ce soit des émotions, des sensations ou des souvenirs, d’une façon ou d’une autre, leur permettra de vivre leur existence autrement, alors qu’elle n’avait plus trop de sens avant.


     Est-ce que vous aviez des références en tête durant la réalisation du film?

     La critique, et la plupart des synopsis dans les différents festivals où il a été programmé mentionnent une influence de la Nouvelle Vague française. Lorsque j’ai commencé le projet, je savais que j’avais envie d’écrire sur la jeunesse. Je me suis demandé quels étaient les films marquants pour moi à cet égard. J’ai rapidement pensé à Truffaut, en particulier à Jules et Jim (1962). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il y a trois personnages: deux hommes et une femme. Pour certaines scènes j’ai aussi pensé à Godard, même si je n’ai pas regardé ses films à nouveau. Il transparaît de mon dernier film une impression de liberté et d’énergie. Il me semble avoir cherché à donner une forme contemporaine à ce qui se dégage de ces films désormais considérés comme des classiques.


Propos recueillis et traduits de l'anglais par Noémie Baume