L'édito de Adrien Kuenzy - Le chef-d’œuvre

Le 15 décembre 2021

Tout le monde, je l’espère, se rappelle un moment de vie qui l’a bouleversé; une rupture, un décès, un plat, une rencontre, un espoir, une odeur, un geste. Ce qui me vient d’emblée - pardon chères et chers cinéphiles - c’est le souvenir du célèbre jeune pianiste Daniil Trifonov interprétant, dans une petite salle en Valais, la Sonate en si mineur de Liszt, les yeux au ciel, à la fois rêveur et obstiné, le front humide. Le Russe donnait l’impression de voler et provoquait l’émerveillement, jusqu’à l’envoûtement, plus rien d’autre n’avait d’importance.

Je ne vous apprends rien: le cinéma détient ce pouvoir de perfection, aussi subjectif soit-il. Capable de révéler des sensations uniques, inexplicables. Des moments si rares que, peut-être ces dernières années aucune œuvre ne vous a offert ce sentiment de plénitude; il faut parfois remonter à l’enfance, même aux premières découvertes dans les salles obscures. Espérons aujourd’hui que la profusion d’écrans distribués très tôt aux petits ne leur gâchera pas la surprise.

Et puis il y a ce qu’on garde à l’esprit et dans ses tripes, après la séance. On fera la différence entre «avoir été emporté» par un récit bien ficelé et l’impression déchirante d’avoir vécu aux côtés d’un objet irremplaçable. Une amie m’a récemment confié avoir découvert un chef-d’œuvre, brillant de sincérité, de surcroît entraînant les larmes. Et La Main de Dieu de Paolo Sorrentino fait maintenant partie de sa chair. Peut-être que le film de l’Italien, dont un papier à ce sujet ouvre notre section critique à juste titre, saura de la même manière vous fasciner. Peu importe au fond, aucune voie n’est jamais tracée; restons réceptifs aux éléments capables de nous imprégner profondément. Pour rester vivant.