L'édito de Anthony Bekirov - L'art de (ne pas) dire adieu

Le 01 novembre 2023

En 1997, Hayao Miyazaki annonçait déjà sa retraite avec son «adieu»: Princesse Mononoké. Évidemment, nous savons tous ce qu’il s’est passé et 26 ans plus tard, les salles de cinéma accueillent son dernier (?) né: Le Garçon et le Héron. Dix ans après un autre de ses soi-disant «dernier film» Le Vent se lève, Miyazaki revient avec le seul film de sa filmographie à pouvoir rivaliser avec Mononoké et Le Voyage de Chihiro. Et de bien des manières, Miyazaki s’inspire de Cervantès et de son Don Quichotte: il met en scène sa propre mort artistique afin de s’assurer une postérité éternelle. Mais nous ne sommes pas dupes. Seule la mort empêchera Miyazaki de créer - il est sans doute déjà en train de plancher sur son prochain projet. Et dire que dans mon précédent édito, je me lamentais de ces vieilles gloires qui n’arrivaient pas à passer le flambeau. Miyazaki a tenté maintes et maintes fois d’arrêter - sans succès. Comme esclave de sa propre imagination qui ne cesse de vouloir façonner des mondes de paysages grandiloquents, d’engins volants, et de forces irréconciliables. Le Garçon et le Héron, mieux que tout ce qu’il n’a jamais pu faire, met en images cette tension artistique entre la pleine conscience de sa propre mortalité - et avec elle l’inévitable disparition de l’univers total que constitue sa filmographie - et la nécessité inéluctable qui le pousse, contre toute raison, à équilibrer les cylindres, les cônes et les sphères de la nature. Miyazaki ne sait pas dire au revoir, mais qu’est-ce qu’il aimerait pouvoir le faire. Cette tension est éminemment tragique. Tous ses films parlent de pertes et d’adieux difficiles, impossibles. Ils parlent de la souffrance inhérente à la vie humaine, qui est celle de voir disparaître ce que l’on chérit, et continuer à, ou tenter de, vivre en dépit de cela. Si ces personnages fantasques et souvent enfantins nous arrachent des larmes chaudes, c’est parce qu’ils résonnent parfaitement avec la réalité d’un adulte. Tandis que l’enfant est éternel, pour qui tout est encore de l’ordre du possible et du futur, l’adulte, fugace, ressent chaque jour plus profondément dans sa chair les passés s’éloigner et les imperfections qu’il aura laissées derrière lui. Miyazaki, comme tous les plus grands cinéastes, a créé des images qui restent. Et ce qu’il reste dans ses images, ce sont ces deux vérités rivales qui parviennent à se réconcilier le temps d’un long métrage.