L'édito de Anthony Bekirov - La nouvelle ère du marketing (mise à jour)

Le 06 septembre 2023

Dans l’édito du numéro 903, le dernier avant l’été, je mentionnais les tactiques douteuses de Disney dans la campagne marketing de son dernier produit Pixar Élémentaire. En bref, Disney avait mis en ligne sur leur Twitter une vidéo qui prétendument montrait des spectateurs s’engouer à la vue du personnage très secondaire de «Clod». Cette vidéo était un fake, avec des acteurs payés pour «jouer au spectateur» et des bruits de foule préenregistrés, trouvables sur des sites d’effets sonores. Tentative désespérée et malaisante pour tenter de sauver le naufrage financier auquel Élémentaire était promis, en créant une hype synthétique. À l’ère des fake news, de la post-vérité, ce type de marketing avait de quoi inquiéter. Mais voilà. Contre toute attente (et la mienne en premier), Élémentaire est devenu le deuxième film d’animation le plus rentable de 2023 après Super Mario. Autrement dit, il semblerait que cette campagne autour de Clod, montée de toute part et ridiculisée à l’envi sur internet, ait créé un engouement, véritable cette fois, autour du film par un étrange effet d’identification. Comparons cela à un exemple similaire. La catastrophique série d’animation Velma (relecture politiquement correcte et raciale/raciste de Scooby-Doo, qui peut se targuer d’un abyssal 1.6/10 sur IMDb) a été un énorme succès financier, et a même battu le record de la meilleure première pour une série d’animation sur HBO Max. Mais pourquoi les gens ont-ils continué à regarder s’ils trouvent cela si mauvais? Et bien précisément parce qu’ils trouvent cela mauvais. Outre l’attrait voyeuriste d’assister à un naufrage, à l’ère d’à qui pourra produire le prochain contenu viral, regarder Velma pour en dire du mal sur les réseaux sociaux génère du clout (notoriété virtuelle) considérable. Et pendant que les créateurs de la série se ramassent des volées de bois vert, HBO se frotte les mains. Toute publicité, même mauvaise, est bonne à prendre. Revenons donc à Élémentaire. Sans doute, une partie de son succès inattendu provient de la volonté des spectateurs de voir si le film était aussi mauvais que sa campagne marketing. Mais le plus étrange, est que cette campagne marketing consistait à montrer de faux spectateurs s’exciter devant un film qui était à peine sorti et qui donc ne pouvait pas provoquer de telles réactions chez le public. Comme si, par effet de miroir ou par catharsis, les vrais spectateurs avaient voulu s’identifier aux faux spectateurs de la vidéo Twitter pour eux aussi rejoindre cette joie inauthentique que Disney leur avait montrée. Aussi étrange que cela puisse paraître, force est d’admettre que les chiffres au box-office nous disent que cette stratégie a porté ses fruits. Et que le libre-arbitre des spectateurs ne tient à pas grand-chose.