L'édito de Anthony Bekirov - La différence entre virtuosité et talent

Le 11 janvier 2023

DALL·E est une intelligence artificielle capable de «créer» une œuvre visuelle, photographique ou artistique, à partir d’une description donnée par un utilisateur (e.g. «des oursons en peluche faisant leurs courses en Égypte ancienne»). Le développement de cet outil ces dernières années pose de nombreux problèmes socioculturels et théoriques qui mériteraient tout un chapitre, mais que nous utiliserons ici seulement à titre d’exemple. Car d’aucuns crient déjà à la mort de l’artiste et réclament son bannissement de l’espace public. C’est que ces gens sont sans doute impressionnés par les images, voire les tableaux créés que DALL·E produit sans effort et qui peuvent ressembler aux années d’effort d’un peintre chevronné. Mais ce qu’on appelle déjà «AI art» est en réalité l’illusion de la création: le programme DALL·E a été nourri de plusieurs millions voire milliards d’images afin qu’il établisse une base de données ordonnées par mots-clés. De sorte que quand vous tapez «dans le style des années 80’s», DALL·E puisse avoir un large panel de ce qui est généralement considéré comme eighties visuellement pour le reproduire fidèlement. Et c’est là où le bât blesse. La série d’algorithmes qui compose le programme ne peut qu’assembler des contenus hétéroclites qui proviennent de sources externes, mais elle ne peut pas créer par elle-même de nouvelles formes. Elle peut faire un tableau à la Kandinsky, mais jamais elle ne pourrait apporter à l’histoire de l’art la même révolution formelle que ce dernier. Le génie improvise, le virtuose imite. DALL·E est un parfait mime, mais il n’a aucune créativité. Les artistes ne devraient donc avoir aucune crainte - plein d’autres choses les ont déjà tués.

Ce qui nous mène à Avatar 2, qui est sur toutes les lèvres. Il faut en parler car c’est un événement populaire, et le cinéma est un art populaire. Mais nous avons deux griefs majeurs à son sujet. Premièrement, toute la communication alentour refuse de dire qu’il s’agit d’un film d’animation, comme si cela était bas, alors qu’il s’agit en tous points d’un Toy Story avec davantage de polygones. Deuxièmement, si James Cameron a certes atteint quelque chose comme l’image de synthèse la plus photoréaliste jamais vue sur écran, cela ne sauve ni le scénario ni la mise en scène. James Cameron, en niant que son film soit de l’animation donc une interprétation du «réel», et en insistant sur la qualité de l’effet visuel plus que tout le reste, s’amuse donc au même jeu que DALL·E, à savoir prétendre produire un objet et non pas le re-produire. Le remaster des films de Chaplin en 4K n’en a pas augmenté la valeur; de même, la virtuosité avec laquelle Cameron manie la motion capture ne devrait en rien être un argument pour racheter la platitude scénaristique d’Avatar.