À la découverte de CINEMED, le Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier

Le 01 novembre 2023

C’est dans une ambiance chaleureuse, à l’opéra Berlioz, qui compte près de deux mille places, plein à craquer, que la 45e édition du festival s’est ouverte. Un événement qui outre son lot d’invités prestigieux tels que Costa-Gavras et Yolande Zauberman, semble avoir conquis un public de fidèles festivaliers cinéphiles, sur qui il peut compter pour remplir ses salles obscures.


They Shoot The Piano Player


Riche idée que celle de se pencher sur la question des disparus en suivant un destin individuel: celui du pianiste brésilien Tenório, kidnappé à la veille du coup d’État de 1976 à Buenos Aires.

Proposition audacieuse que de décider de mettre en scène cette enquête journalistique, qui flirte volontiers avec le genre policier d’une part, et d’autre part à une démarche d’historien sous la forme d’un documentaire animé.

Les deux réalisateurs de cette coproduction hispano-française n’en sont pas à leur coup d’essai en la matière, puisque Fernando Trueba et Javier Mariscal sont les auteurs du très réjouissant Chico et Rita (2010). Malheureusement à trop vouloir divulguer de détails sur la vie et l’œuvre du pianiste, le tout devient cacophonique, et les allers-retours incessants entre l’anglais, le portugais et l’espagnol achèvent de rendre le tout indigeste. Ces problèmes de rythme et d’écriture empêchent également de s’immerger totalement dans les airs de bossa nova qui ponctuent pourtant ce qui constituait le film d’ouverture du festival.


La Mère de tous les mensonges


Présenté à Cannes en mai dernier, et récompensé du Prix de la Meilleure réalisation dans la catégorie Un certain regard, cet essai documentaire d'Asmae El Moudir dresse le portrait d’une femme: la grand-mère de la réalisatrice. Au travers d’une narration sensible et habilement tissée, c’est toute une époque, celle des années 1990 marquées par la répression politique, et son quartier de Casablanca qui est donnée à découvrir au spectateur.

C’est par le biais d’un dispositif bien pensé et visuellement plaisant: une maquette que sont abordées ces réalités douloureuses, et éminemment violentes. Cette démarche ne va pas sans rappeler le génial L’Image manquante (2013) de Rithy Panh qui a trait quant à lui aux atrocités commises par les Khmers rouges.

C’est entre gravité, et touches d’humour lucides que sa conteuse de grand-mère nous fait découvrir son univers, et même ses espoirs pour l’avenir: (…) qu’ici les murs n’aient pas d’oreilles.


Danser sur un volcan


Une équipe soudée qui tente de démarrer un tournage malgré l’explosion qui vient de ravager le port de Beyrouth, et secouer - au sens propre comme au figuré - une bonne partie de la capitale libanaise. C’est face à l’incertitude que ce projet se concrétise après une préparation méticuleuse et des coproductions à l’internationale, que le directeur de la photographie décide de se saisir de sa caméra pour filmer les (més)aventures d’une équipe des plus résilientes face à l’adversité, y compris la pandémie de COVID, et la mise en quarantaine de deux jeunes actrices.

L’une des protagonistes n’hésite d’ailleurs pas à évoquer le fait qu’elle se sent: «(…) Lost In La Mancha» en référence au fameux making-of de l’impossible adaptation cinématographique de Don Quichotte par Terry Gilliam (Keith Fulton et Louis Pepe, 2002). C’est aussi la possibilité de créer, et d’exister en tant qu’artiste dans un pays en proie à une situation politique complexe et conflictuelle depuis plusieurs décennies qui est questionnée dans ce film de Cyril Aris, ancré dans les réalités chaotiques, mais le plus souvent lumineuses de ces courageux faiseurs de cinéma.


Notre monde


Deux jeunes femmes qui quittent leur village pour aller étudier à Pristina en 2007. Une recherche effrénée de liberté, et d’émancipation. Un film frais, et résolument vivant qui ne va pas sans rappeler les débuts de Xavier Dolan, et notamment le si percutant J’ai tué ma mère (2009). Luàna Bajrami, née en 2001, n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai en matière de réalisation avec ce second long métrage présenté en compétition à la Mostra de Venise. Elle a déjà signé le très réjouissant La Colline où rugissent les lionnes (2021), également centré sur un groupe de jeunes femmes.

À l’occasion de ce projet, elle a fondé une maison de production au Kosovo, dont elle dit volontiers que c’est aujourd’hui un territoire des possibles en matière de cinéma, où une industrie est en construction. L’ensemble de ce parcours qui a mené à la première mondiale à Venise a duré en tout dix-huit mois. Elle explique se laisser une grande marge de manœuvre au montage et envisagé son scénario comme une forme de puzzle.

La confrontation des rêves avec une réalité âpre, mais aussi pleine d’espoirs et de promesses, c’est ce que ressort de ce nouveau portrait habile et enivrant d’une jeunesse qui a, envers et contre tous, la vie devant soi.