Internationale Kurzfilmtage de Winterthur, 27e édition du 7 au 12 novembre

Le 29 novembre 2023

La froidure humide de novembre est comme chaque année l’occasion de se retrouver au détour des salles obscures de Winterthur, confortablement installé dans le complexe du Blue Cinema, situé dans une ancienne usine à deux pas de la gare. Ces salles flambant neuves et de grande dimension auront été bien souvent pleines durant la fin de semaine, ce qui était fort réjouissant!


Au menu: bon nombre de courts internationaux de provenance variée et de très bonne qualité formelle. Mais aussi la production de cinéastes émergent·e·s qui, pour une partie d’entre elles/eux, y présentent leurs films de diplôme. On y retrouve ainsi régulièrement représentés, au sein de la Compétition helvétique, la ZHdK (Zurich) et Fachhochschule Luzern, qui amènent notamment d’audacieuses propositions du côté de l’animation et du documentaire; et du côté romand, l’ECAL (Lausanne) et la HEAD Genève.


Le festival est enfin l’occasion de découvrir des programmes thématiques pointus et toujours bien construits. Cette année, on relèvera notamment une série Beyond Nollywood, consacrée à la production cinématographique nigériane. Ou encore, la lumière mise sur le Winnipeg Film Group dans le cadre du Focus Canada qui sévit depuis les années 1970 dans la ville éponyme, au centre du Canada. Des productions documentaires à la fois audacieuses, improbables et esthétiquement réjouissantes, et provenant notamment du prolifique Guy Maddin.


And Me, I’m Dancing Too


Ce court métrage iranien de Mohammad Valizadegan, présenté dans le cadre du Concours international, a su toucher le public puisqu’il a été récompensé parmi un vaste choix. Il conte l’histoire de Saba qui cherche à se former dans le domaine de la danse à Téhéran, mais sans succès. En effet, l’Iran interdit toute forme d’expression artistique, et particulièrement aux femmes. Présenté à la Berlinale en février dernier, il a remporté l’Ours de cristal du meilleur court dans la catégorie Generation 14plus.


Une puissante poétique et une sensation de liberté se dégagent des scènes dans lesquelles la comédienne danse dans la rue, déguisée en homme. En tournant dans l’espace public, ces scènes, par ailleurs, auraient pu coûter cher à l’équipe du film. Ils encouraient le risque que la police des mœurs intervienne. C’est donc un geste courageux et militant de la part du réalisateur, lui-même danseur. Naviguant habilement entre documentaire et fiction, ce film est d’autant plus plaisant que sa photographie, totalement maîtrisée, est particulièrement réussie.


2720


La récompense du Meilleur film suisse est allée à Basil da Cuhna, un réalisateur chevronné au style affirmé. Avec une volonté de raconter des histoires ancrées dans le réel, il poursuit son travail au sein de quartiers populaires de la capitale portugaise. Dans ce film, un quartier en particulier est réputé pour être particulièrement violent: la Reboleira. Ainsi, Jyzone, à peine sorti de prison, fait déjà de mauvaises rencontres qui risquent de mettre en péril le nouveau travail qu’il vient de décrocher. Ce sont, par ailleurs, des gens du lieu, acteurs non professionnels, qui campent la plupart de ses personnages.


C’est en suivant en partie le point de vue d’une jeune protagoniste, que le réalisateur offre au spectateur le moyen d’explorer le quartier. Baladant sa caméra de manière fluide, il se faufile et pose un regard résolument poétique et humaniste sur des réalités pourtant dures et sombres. Il en résulte un film lumineux où l’on s’immerge également dans la musique qui accompagne ces trépidantes déambulations urbaines.


Out Of The Blue


Morgane Frund, récompensée pour Ours l’an dernier par le Jury des Jeunes, reçoit cette année une Mention dans le cadre du Concours international, pour un essai visuel audacieux et réflexif sur le film La Vie d’Adèle. Elle propose de régler ses comptes avec ce film, allant au-delà de la colère qu’elle a pu ressentir en tant que spectatrice, alors âgée de 16 ans.


C’est dans une écriture bien pensée, rythmée et ciselée, qu’elle nous guide dans ce parcours de déconstruction et d’argumentation. Ce court bien construit et bien pensé est porté par une voix over à la première personne. Ce court métrage très personnel est fortement marqué par la voix et la plume acérée de la réalisatrice.


Le concept du «male gaze», largement diffusé et utilisé depuis le #MeToo dans les milieux militants, est mis en lumière et questionné. Une notion qu’elle avait d’ailleurs déjà mise en cause, avec un grand à-propos, dans le cadre de son précédent film. Confrontant alors un filmeur amateur à ses images de femmes en gros plans, dont les images avaient été volées dans l’espace public.


Elle se penche en premier lieu sur la manière dont l’histoire d’amour est racontée entre ces deux femmes, respectivement jouées par Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos. Ce film qui avait non seulement fait grand bruit mais reçu également la Palme d’or à Cannes, constitue un jalon important vers un cinéma de couples et d’amours pluriels. Ainsi, Frund ne fait pas l’impasse sur la polémique médiatique autour d’un tournage compliqué.


Il semble donc intéressant de se demander quelles représentations du couple et de la sexualité lesbienne ce dernier véhicule. Réalisé par Abdellatif Kechiche, et adapté de la BD de Julie Maroh, Le Bleu est une couleur chaude. Ce sont les scènes de sexe, connues pour être particulièrement longues, (quasiment 7 minutes pour l’une d’entre elles) et explicites, qui selon l’autrice, deviennent le lieu où notre regard se cristallise. Un regard qu’elle qualifie de voyeur, reflétant ce qu’un homme peut imaginer d’un moment intime entre deux femmes.


Sa prise de position permet à des personnes qui partagent son avis (ou pas) de comprendre, pas à pas, son rapport à ces scènes, et au film, de manière plus globale. Et surtout, de saisir de quelle manière ses analyses s’appuient aujourd’hui sur des écrits théoriques et de réflexions plus personnelles et fouillées. En faisant le choix de s’attarder sur des images laissant entrevoir les courbes des corps uniquement dans un univers bleuté, sur un extrait d’une des chansons de la bande originale du film, I Follow Rivers, elle nous permet de nous immerger habilement dans les souvenirs de notre propre appréhension et ressentis, face à un film, salué alors par la critique.


Noémie Baume