L'édito de Kim Figuerola - Immersion et dispositifs

Le 29 novembre 2023

«Immersion», l’exposition actuelle du Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA), retrace l’émergence de l’art immersif de 1949 à 1969. Une période qui se définit par le décloisonnement des médiums artistiques et des frontières matérielles de l’œuvre d’art. Le MCBA propose donc des environnements immersifs opératoires, dans lesquels la posture du visiteur se modifie en acteur et co-auteur de la création. Il est de ce fait saisi dans un dispositif expérientiel dans lequel sa présence induit un engagement à la fois cognitif, sensoriel et participatif. Toutefois, le paradigme immersif n’est pas propre à Infinity Room (2015) de Refik Anadol, ni à The Weather Project (2003) d’Olafur Eliasson, ni à l’art contemporain tout court. Il a traversé l’Histoire.

De l’art pariétal, avec la grotte de Lascaux, à celui des fresques renaissantes, avec Giulio Romano et sa Sala dei Giganti, au décor des Nymphéas de Claude Monet du musée de l’Orangerie, ces représentations panoramiques sont des espaces immersifs et imaginaires qui se superposent à l’espace réel. Dès lors que nous parlons d’«immersion», la question cinéma surgit. En tant qu’art immersif par excellence, le dispositif cinématographique a, dès son avènement, brouillé les frontières du réel et du virtuel. Bien que précédée par la lanterne magique et les fantasmagories, sa stratégie d’immersion spectatorielle, par l’obscurité, le son et la simulation spatio-temporelle (créée sur le plan visuel), démontre que la technologie est centrale. Les trucages de Georges Méliès, la triple projection synchrone d’Abel Gance pour Napoléon (1927) ou le langage 3D d’Anselm - Le bruit du temps de Wim Wenders (2023), illustre bien que le perfectionnement technique est au service de l’immersion, et du spectateur nécessairement. En subissant une expérience multisensorielle qui mobilise son mental et son corps, le spectateur s’immerge dans un espace illusoire. Captif de la stratégie industrielle du cinéma et de son dispositif expérientiel, il se place donc au cœur de «l’impression de réalité» et du caractère imaginaire de l’univers filmique. Pour Edgar Morin, le spectateur s’inscrit dans un système artificiel, et dans lequel il intègre le flux du film, qui l’absorbe ensuite à son tour. Par conséquent, une relation symbiotique qui relève du magique, mais aussi du rationnel. Sans entrer dans un débat idéologique, l’histoire du cinéma a toujours su évoluer étroitement avec les technologies. Ainsi, et quoiqu’inhérente au cinéma et à d’autres formes d’art, la notion d’immersion continue à être, plus que jamais, au centre d’un véritable enjeu commercial, tant notre appétit d’évasion s’est aiguisé.