Harmony Korine au Festival de Locarno

Le 23 août 2023

Sous la chaleur lourde de la ville de Locarno qui fait fondre les glaces sur les vêtements des plus têtes en l’air, il valait mieux se réfugier dans une salle de cinéma afin de (re)découvrir des bons, comme des mauvais films.


Pour trouver de la fraîcheur, il suffisait d’entrer dans la salle du PalaCinema et de s’y installer confortablement pour sentir l’air iodé de la Bretagne. Camping du Lac (2023) d’Éléonore Saintagnan raconte l’histoire d’Éléonore qui tombe en panne au beau milieu de la Bretagne alors qu’elle souhaitait aller voir l’océan. Après quelques péripéties avec sa voiture, elle se retrouve obligée de passer quelques nuits dans un camping avec une vue sur le lac dont la légende raconte qu’un gigantesque poisson y a élu domicile. Éléonore finira par ne plus vouloir quitter le camping du Lac, jusqu’à la catastrophe. Il s’agit d’un film profondément beau, autant par ses qualités esthétiques que par les personnages attachants que l’on rencontre, ou encore par sa bande originale. Il dénonce le réchauffement climatique et l’impact de l’humain sur la nature, de par sa bêtise et son tourisme de masse qui finiront par tout détruire. Pourtant, il est teinté d’humour et de poésie, touchant par ses acteurs pour la plupart amateurs et issus de la région, ainsi que par son ancrage temporel regardant le présent défiler en faisant référence au passé, tout en les mêlant à la fiction. Un très beau film, à qui il ne manque plus qu’un distributeur pour être apprécié à sa juste valeur.


Toutefois, si l’on préférait un cinéma «qui dénonce» plus brut, il fallait suivre le chemin sinueux d’Harmony Korine, en se déplaçant tout d’abord au GranRex. Il a eu le plaisir d’accueillir son audience cigare à la main, et regard pointé vers le sol en présentant Gummo (1997), son premier long métrage qui montre la vie des habitants d’une petite ville de l’Ohio dévastée par une tornade. À la Godard: si l’on fait abstraction du scénario, c’est bien. Il est indéniable que son esthétisme est brillant et novateur, mais le reste est superflu. C’est un cinéma qui dérange à la Gaspard Noé, qui se veut dénonciateur et qui invite le public à se lever de son siège et à partir continuer sa vie sans emporter les souvenirs du reste de la séance avec lui·elle. L’exacerbation de la misère humaine à travers sa représentation du white trash américain, romantisant l’inceste (oh, Gaspard Noé?), sexualisant des enfants et adolescents et portant un regard sur les corps qui ne saurait mettre à l’aise prennent le dessus sur le caractère dénonciateur de l’œuvre. Il fut intéressant de découvrir que son rapport dérangeant au corps ne s’étend pas qu’à celui des petits garçons, mais aussi à celui des femmes. Pour s’en rendre compte, il fallait revenir le lendemain, mais cette fois-ci dans la salle du PalaCinema afin de ne pas rater Spring Breakers (2012). Quatre étudiantes (trois anciennes stars de Disney et sa propre femme) qui préfèrent visiblement plaire à la gent masculine qu’à s’intéresser à leurs études braquent un fast-food afin de pouvoir partir en Spring Break, là où la décadence règne. Une fois là-bas, elles termineront rapidement en prison suite à une fête ayant mal tourné (qui plus est en maillot de bain, dormant sur le ventre, le dos courbé à s’en briser la colonne vertébrale) avant qu’Alien (James Franco), un criminel «hors-pair» vienne payer leur caution, par intérêt le plus complet pour leurs corps. Iels formeront une équipe, s’en suivront des hold-up, des pleurs et des plans sur des fesses, des seins, et évidemment des scènes de sexe entre copines. Rien que la scène d’ouverture invite à la fuite immédiate: 6 minutes de seins et de fesses féminines (les hommes, quant à eux, se contentent de les toucher et de mimer des éjaculations avec leur bière) tout ce petit cirque sous fond de la douce et mélodieuse Scary Monsters And Nice Sprites de Skrillex. Alors oui, on a envie de partir. Pari réussi. Au-delà des clichés sexistes, classistes et raciaux, le film se veut dénoncer entre autres l’absurdité du pouvoir et de l’argent par la perte de contrôle. Il semble cependant possible d’aborder ces sujets sans avoir à objectifier ni à oppresser toute une partie de la population. Ce n’est pas en montrant une abondance d’images à caractère sexuel que l’on ne dénonce réellement quoi que ce soit, le «trop-plein» n’est pas une ressource assez palpable pour celles et ceux qui ne croulent pas sous les privilèges. En sommes, on ne fait qu’alimenter les fantasmes oppressants et déjà bien assez ancrés dans notre société. À chacun·e ses combats, dirons-nous.


Afin de terminer ce pénible périple sur une note risible, il suffisait de se rendre à la Piazza Grande le dernier vendredi du festival afin d’assister à une scène qui ne manquait que d’un orchestre de cirque: Harmony Korine recevait le Pardo d’honneur (sans cigare, cette fois-ci), remis par nul autre que Gaspard Noé, et oui! Les deux compères étaient tous deux dans un état tout à fait second, frôlant le lamentable. Entre Korine peinant à expliquer que chaque matin il se lève et qu’il doit choisir un combat - certainement afin d’alimenter le mythe de l’artiste torturé et incompris qu’il est. Pendant que Noé, les pupilles dilatées et la mâchoire tendue ne faisaient qu’acte de présence sur scène, lui et sa moustache. En effet, après tout ceci, on ne peut que se questionner. Peut-être vaudrait-il de se repencher avant tout sur la notion du dispensable à l’écran.