Geneva International Film Festival (GIFF)

Le 29 novembre 2023

La 29e édition du Geneva International Film Festival (GIFF) s’est déroulée du 3 au 12 novembre derniers. Pour l’occasion, et comme à ses habitudes, Ciné-Feuilles a dépêché quelques membres de son équipe dans la cité de Calvin. Retour sur quelques œuvres découvertes.


Commençons par le commencement. Film d’ouverture du festival, Daaaaaali! (France, 2023) est la nouvelle réalisation de Quentin Dupieux. Après le tout récent (et très réussi) Yannick, le prolifique réalisateur nous offre un biopic déjanté du peintre espagnol dans lequel ce dernier est incarné par pas moins de six acteurs (dont Jonathan Cohen, Gilles Lellouche ou encore Pio Marmaï). Et si, sur le papier, la rencontre des univers des deux artistes promet, le résultat est, hélas, quelque peu décevant. Malgré la loufoquerie qui s’en dégage, une comédie qui tourne en rond et tombe dans les travers du cinéaste (qu’il avait su éviter avec ses deux précédents films), au point d’en devenir prévisible. Dommaaaaaage!


Compétition internationale


Cette année, les douze longs métrages, présentés en Compétition internationale, furent tous en Première suisse. Une opportunité de découvrir en primeur les films concourant pour le Reflet d’or, récompense suprême du festival. Et pourtant, la déception était parfois de mise.


Dans Holly de Fien Troch (Belgique/Pays-Bas/Luxembourg/France, 2023), la jeune fille, donnant son nom au film, se découvre des pouvoirs surnaturels le jour où, par intuition, elle décide de ne pas se rendre au collège, et qu’un incendie s’y déclare. De ce point de départ intrigant, le métrage ne fait pas grand-chose. Ou plutôt, il tente de trop en faire. Par ailleurs, l’évolution du personnage principal est peu lisible et les cadrages disgracieux viennent entacher un récit confus, porté par une bande originale hors propos. Oubliable.


Demi-teinte toujours. Dans Polite Society (Royaume-Uni, 2023), Ria, qui rêve de devenir cascadeuse, va se lancer dans une opération de sauvetage de sa sœur aînée, qui est sur le point de se marier. Réalisée par Nida Manzoor, cette comédie d’action oscille entre les univers d’Edgar Wright et Quentin Tarantino. Le premier pour ses scènes de baston rappelant Scott Pilgrim, le second pour son montage dynamique et son chapitrage. Ombre au tableau néanmoins, la répétitivité des effets et des ressorts scénaristiques - essentiellement en fin de film - qui viennent appesantir l’ensemble.


Réunissant la chanteuse de pop Pomme et le rappeur Fianso, dans un film sur le monde de la finance, La Vénus d’argent (France, 2023) promettait. Dire que nous sommes franchement déçus est un euphémisme. La finance n’est jamais réellement explorée en tant que telle, et ne sert qu’à illustrer les tares d’une certaine bourgeoisie mondialisée. Le discours développé par Héléna Klotz sur la mobilité sociale est quant à lui bien pataud, ne proposant jamais d’analyse structurelle des rapports de classe. Enfin, la caractérisation et l’évolution du personnage secondaire incarné par Niels Schneider se distinguent par son obscénité.


Fort heureusement, la Compétition internationale fut aussi l’occasion de belles découvertes. Romance passionnée entre deux jeunes vivant au nord du Sénégal, Banel & Adama (France/Sénégal/Mali/Qatar, 2023) est un film de Ramata-Toulaye Sy (dont vous pouvez trouver l’entretien dans notre numéro 911). Seul premier film présenté en Compétition cette année à Cannes, ce long métrage s’ancre dans les traditions du petit village où il se déroule, tout en les questionnant. Esthétiquement très réussie, cette histoire d’amour, pas comme les autres, ne se prive pas d’évoquer l’appartenance à un groupe, la folie ou encore le réchauffement climatique.


Qui dit festival international, dit voyage. Pour The Sweet East (USA, 2023), son premier long métrage en tant que réalisateur, Sean Price Williams se lance sur les traces d’une jeune fille, en quête de sensations fortes, qui s’échappe de son excursion scolaire. Elle rencontre, dans son aventure, des personnages, plus loufoques les uns que les autres, qui reflètent différents archétypes sociaux. En effet, le film n’épargne personne, et les croyances politiques et religieuses des «deux camps» en prennent pour leur grade. Si l’on tombe ainsi parfois dans la caricature ou l’exagération, le plaisir ressenti devant cette piquante comédie à l’ambiance 70s l’emporte malgré tout.


Poursuivons à l’est, bien plus à l’est. Portant à l’écran la problématique morale des bergers tibétains confrontés à des attaques de panthères de neige contre leurs troupeaux de moutons, Snow Leopard (Chine, 2023) n’est pas dénué d’intérêt ni de beauté. Le film a recours à la mise en abyme puisqu’il suit notamment un journaliste et un cameraman faisant eux-mêmes un reportage sur la panthère des neiges dans les montagnes tibétaines. Ce procédé est plutôt habile étant donné qu’il nous permet d’observer ce qui se trouve à l’écran avec une certaine distance comique. Cela dit, le spectateur comprend rapidement la mécanique mise en place par Pema Tseden, laquelle mécanique finit par s’enrayer. Le film devient dès lors quelque peu longuet.


Notre petit voyage en Compétition internationale se termine au pays du soleil levant. Dans Sidonie au Japon (France/Allemagne/Suisse/Japon, 2023), Élise Girard convoque Isabelle Huppert au Japon pour ce film sur le deuil, qui se veut profond, mais se révèle franchement nanardesque. D’abord il y a cette musique mielleuse. On en crève de ces films qui se sentent obligés de placer ces désormais sempiternelles notes de piano kitchissimes, à chaque moment un peu émotionnel. Ensuite, le fond vert ultra voyant et laid utilisé pour certaines scènes à tonalité plus fantastique ou poétique rend le métrage très dur à regarder. Enfin, cette citation explicite d’Hiroshima, mon amour est complètement gratuite et déplacée.


Les hasards du calendrier et les choix cornéliens inhérents à tout festival ont fait que sur les cinq films que nous ne sommes pas parvenus à voir se cachait le Reflet d’or du meilleur long métrage. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d'Ariane Louis-Seize (Canada, 2023) a en effet remporté la prestigieuse récompense et, par conséquent, attiré toute notre attention. À suivre de près lors d’une éventuelle sortie dans nos salles donc…


Compétition Future Is Sensible


Évoquons encore quelques longs métrages présents dans des sélections annexes. Nouvelle adaptation (très libre) de La Bête dans la jungle d’Henry James, après la réalisation éponyme de Patric Chiha sortie cette année, La Bête de Bertrand Bonello (France/Canada, 2023) explore la relation de deux personnages, Gabrielle et Louis, sur trois époques, en 1910, 2014 et 2044. Mêlant science-fiction et histoire d’amour, cette proposition très intéressante peine toutefois à convaincre totalement. Toutes les lignes temporelles ne se révélant pas de qualité égale, elle aurait gagné à être plus concise. Si l’émotion est au rendez-vous, certains gimmicks un peu trop tape-à-l’œil peuvent aussi la désamorcer… jusqu’à un final déchirant.


Highlights


The Zone Of Interest de Jonathan Glazer (Pologne/Royaume-Uni/USA, 2023) fut une claque monumentale pour les membres de Ciné-Feuilles, qui l’avaient déjà découvert cette année lors du Festival de Cannes. Sa présence dans la catégorie Highlights fut un parfait rattrapage pour celles et ceux qui n’ont pas eu cette chance. Illustrant la vie «paradisiaque» du commandant nazi Rudolf Höss et de sa famille, habitant à côté du camp d’Auschwitz, le film choisit d’exposer l’horreur de la guerre. En l’infusant par touches subtiles, sans montrer des actes de violence graphique, elle réduit des êtres humains à des rideaux que l’on peut acheter aux enchères, ou à des vêtements que l’on donne à ses employés de maison. La présence funeste et inexorable du mur délimitant le camp rend le contraste entre ses deux côtés (vie de rêve et cauchemar) encore plus saisissant. Et pourtant, les frontières peuvent se dévoiler poreuses, puisque le monde idyllique de la famille Höss se retrouve parfois «contaminé» par les atrocités voisines, telle une piqûre de rappel de leurs agissements. Aussi grinçant que poignant.


Séries


Terminons par l’une des spécificités du festival, celle de proposer des séries. Poemas Malditos de Juan Ignacio Sabatini (Chili, 2023) s’inspire, comme son nom l’indique, de poèmes maudits populaires pour dénoncer la misogynie, le racisme, la xénophobie, l’homophobie, et autres types de discrimination. Se déroulant au début du XXe siècle, le récit joue sur des éléments fantastiques et folkloriques, tels que la figure de la sorcière ou la possession démoniaque, pour parler de la société d’alors, mais aussi d’aujourd’hui. Dotés d’une esthétique envoûtante, les quatre épisodes de 30 minutes environ qui composent cette série sont malheureusement un peu courts pour rayonner de manière optimale, mais la proposition est déjà plus que correcte!


L’une des œuvres cinématographiques de l’année - et sans doute l’un des sommets de ce GIFF 2023 - est une série. Créée par le génial Nathan Fielder et le non moins génial Benny Safdie, The Curse (USA, 2023) est une rencontre détonnante entre leurs deux univers. La Cringe Comedy de Fielder insuffle le cinéma fiévreux de Safdie d’une veine östlundienne évidente, qui rend chaque situation à la fois grinçante, malaisante et hilarante. La série a de plus l’intelligence de porter un regard très critique sur une certaine bourgeoisie artistique, sans que cela empêche l’empathie du spectateur envers ses personnages. En bref, un tissage narratif et filmique d’une très grande subtilité.


Marvin Ancian, Amandine Gachnang et Tobias Sarrasin