L'édito de Adèle Morerod - Filmer, c’est toujours transformer

Le 12 mai 2021

Le cinéma - enfin retrouvé dans l’obscurité des salles - multiplie à l’envi les manières de raconter notre monde. Mais à quoi servent toutes ces mises en scène: à représenter la réalité ou à inventer de toutes pièces des récits pour nous emmener ailleurs?

Face au souci du réel, deux documentaires suisses de ce numéro - Retour à Višegrad et Le Périmètre de Kamsé - ont déjà des réponses différentes à proposer. Alors que le premier opte pour une pudeur qui traduit l’impossibilité de dire tout de ce qui nous entoure, et peut-être surtout la souffrance, le second veut oublier la présence de la caméra pour viser une (illusoire) objectivité. La recherche de vérité n’est pas propre qu’au documentaire. On retrouve dans Ammonite, film historique porté par Kate Winslet et Saoirse Ronan, un même soin à reconstituer presque obsessionnellement une époque. Et pourtant, à force d’exactitude, il étouffe toute vibration des vies qu’il décrit.

Est-il donc si étonnant que l'une des œuvres les plus séduisantes de ces pages ait fait des choix bien plus radicaux de mise en forme? A travers des images à la fois poétiques et fantasmagoriques, The Pink Cloud dépeint un temps suspendu très similaire à celui que nous traversons - un nuage toxique contraint un couple à peine formé à vivre enfermé - mais opte pour la science-fiction.

Si filmer c’est forcément transformer, alors faisons le choix de l’inventivité, de la création et de l’engagement. Et il n’est même pas dit que nous verrons moins bien les choses!