Festival FILMAR en América Latina 2023

Le 13 décembre 2023

La 25e édition du Festival FILMAR en América Latina, qui s’est tenu du 17 au 26 novembre à Genève, a connu son lot de salles combles et d’ambiances festives. Il s’est ouvert avec Tótem, le très délicat et lumineux second long métrage de la réalisatrice mexicaine Lila Avilés, qui met en scène une maisonnée familiale face à la maladie de l’un des leurs. Un film à retrouver dans les salles de cinéma romandes actuellement, et représentant digne de la forte présence du cinéma mexicain au sein de cette réjouissante programmation.


Pour commencer, la section Focus Sud qui propose une série de coups de cœur repérés en festivals, et qui constituent moults regards singuliers sur l’Amérique latine. On y retrouvait justement les deux très bons films mexicains Heroico de David Zonana. Planté dans des décors aussi symétriques qu’imposants, ce cousin éloigné de Full Metal Jacket de Stanley Kubrick (1987), retrace la trajectoire d’une recrue indigène au sein de l’armée nationale. Il relate également toutes les formes de violences auxquelles il est continuellement confronté, à commencer par les bizutages qui questionnent la masculinité dans tout ce qu’elle a de plus brutal, et toxique. Dans un autre registre bien plus contemplatif, c’est un regard aiguisé et curieux que porte Tatiana Huezo, avec El Eco, sur ce qu’on pourrait presque assimiler au fameux «temps long» des paysans, qui selon l’historien Le Roy Ladurie, caractérise la vie d’un village. Elle explore les recoins et les aléas de la vie plus que paisible de cette petite communauté. Filmant avec une attention soutenue à ce qui se joue, notamment dans le silence des interactions entre ses membres, mais aussi entre les enfants et les anciens. Sans oublier le rôle central joué par leur environnement et les animaux. C’est la fiction péruano-colombienne Diógenes de Leonardo Barbuy qui a eu les faveurs du public, et qui a remporté le Prix dans cette catégorie. Une fiction tournée en noir et blanc au cœur des Andes et relatant la vie de deux enfants frappés par le décès subit de leur père, et unique protecteur.


Quant à nous, c’est un film chilien qui a particulièrement retenu notre attention: Brujería de Christopher Murray. Cette œuvre nous emmène sur l’île de Chiloé dans le Chili du 19e siècle, et nous plonge au cœur d’atmosphères pleines de brouillard et de pesanteur qui flirtent volontiers avec le film de genre. Elle s’inspire de l’histoire de la communauté Recta Provincia, accusée de sorcellerie. Une fable qui met en scène Rosa, dont le père est sauvagement assassiné par les propriétaires du ranch où ils travaillent tous les deux. Elle se met alors en quête de justice, faisant table rase de son éducation chrétienne pour se replonger dans son identité indienne. Dans un récit qui prend son temps et laisse la part belle à la contemplation, la prestation de la jeune actrice est particulièrement réussie. Offrant une présence incontournable et quasiment magnétique, que ce soit dans les sublimes plans de la nature ou lors des réunions secrètes de l’organisation. À cela s’ajoutent une mise en scène et une photographie totalement maitrisées. Le seul bémol est peut-être qu’à vouloir construire des ambiances sonores trop denses, ces dernières deviennent à la longue un peu pesantes.


La seconde section de la programmation dédiée aux Opera Prima a vu le Jury des jeunes récompenser la jeune réalisatrice péruvienne basée à Berlin, Andrea Hoyos pour Autoerótica. Une fiction qui met en scène, avec beaucoup de justesse et de délicatesse, le temps des premières fois. Un temps synonyme pour Bruna 15 ans de flirt sur internet et de rencontres à la sauvette, au caractère très sexuel avec un garçon sensiblement plus âgé qu’elle. Un film frais et malin qui explore la découverte de la sexualité et celle du corps, mais également la liberté, et de ce qu’on en fait. Pourtant, pour cette adolescente qui partage sa vie entre la natation, la musique rock, l’école et ses amies, les conséquences sont lourdes: une grossesse non désirée, à laquelle elle veut mettre fin à tout prix à l’abri du regard de sa mère. C’est ainsi, grâce à l’aide et au soutien infaillibles de sa meilleure amie Débora, ainsi qu’à la complicité de leur professeure de natation à peine plus âgée qu’elles, que Bruna va pouvoir faire valoir son choix. Un choix dans un pays où l’accès à l’avortement, et en particulier à l’information, sont des enjeux cruciaux. Un récit, donc, d’apprentissage frais et vivant, qui sonne résolument juste. La réalisatrice propose une manière très fluide de filmer la façon dont ces jeunes filles habitent l’espace urbain, et y trouvent progressivement leur place.


Cette programmation, emplie de films forts de réalisateurs que le festival prend soin de mettre en lumière année après année, en suivant avec attention leur parcours, était aussi marquée par de belles découvertes. À relever, dans ce chapitre, la présence de plusieurs comédies argentines de qualité. Celles qui savent faire rire intelligemment, toucher et émouvoir un large public. Une partie visible de l’iceberg de ce côté-ci de l’Atlantique, souvent adressé au spectateur européen. Les prestations si distrayantes de Ricardo Darin, dont Un cuento chino de Sebastián Borensztein (2011), constitue pour moi une des comédies de mœurs efficaces. Fonctionnant en grande partie sur le mode de l’absurde, avec certains gags très visuels, elle propose des véritables relents burlesques dignes des grands, et de la verve poétique du cinéma muet de l’entre-deux-guerres. Blondi de Dolores Fonzi propose, quant à elle, un huis clos familial, dont une partie se déroule en excursion dans les magnifiques paysages andins. Elle met en scène la relation fusionnelle entre un fils, qui s’apprête à commencer des études aux Beaux-Arts, et sa mère, éternelle ado rock’n’roll à souhait. Dans un enchaînement de scènes de vie quotidienne à la fois piquantes et bien jouées, et des intermèdes festifs parfois plutôt décadents, elle nous livre un premier film frais et plein de «buena onda».


50 ans du coup d’État au Chili, et en Uruguay


Pour commencer, nous avons Chicago Boys (2015) de Carola Fuentes et Rafael Valdeavellano, un documentaire bien ficelé et hautement documenté qui se penche sur le volet économique du coup d’État contre Allende au Chili. Il retrace le parcours d’une poignée d’étudiants en économie envoyés en 1956-7 à l’Université de Chicago, grâce à des bourses d’Etat chiliennes. Après avoir étudié l’économie néo-libérale auprès de Milton Friedman, ils feront bien plus que d’enseigner à leur tour une fois de retour au pays. Unis par des liens d’amitié solides, tissés au fil de leurs années à l’étranger, ces derniers participeront activement à la rédaction du programme économique qui présidera à la transformation du pays sous l’ère Pinochet: El Ladrillo (La Brique).


C’est peu de temps après le coup d’Etat de 1973 que ces derniers sont contactés pour y participer. Et leur influence dans la sphère politique ne prendra même pas fin avec le retour de la démocratie, puisque nombre d’entre eux occuperont des postes de ministres. Le rôle du Chili, comme laboratoire du néo-libéralisme, ne cesse d’être débattu et mis en question. Pour preuve, le processus constitutionnel en cours qui vise à offrir un nouveau texte fondateur à un pays qui vit toujours sous le régime d’un dictateur. Après une première partie dédiée à la reconstitution des faits liée à la genèse de ce groupe, la posture des réalisateurs se fait plus interrogatrice. Celle-ci ne manque pas de questionner les complicités, ainsi que les graves manquements aux droits de l’homme, et notamment la question de nombreux disparus.


La comédie tragi-comique teintée d’humour noir de Penal Cordillera de Felipe Carmona, revient sur un élément méconnu de la période post-dictature. Celui qui questionne sur ce qu’on fait collectivement et institutionnellement de ce passé. Et plus particulièrement sur un plan très pratique, puisqu’il s’agit de comprendre la manière dont ont été emprisonnés de hauts dirigeants de la dictature dans une prison de haute sécurité isolée dans la cordillère des Andes. Loin des regards, et pour cause, cette prison a plus l’apparence d’une résidence hôtelière de luxe pour aînés, que d’un lieu d’enfermement pour criminels. Les nombreuses questions sont également surtout d’ordre éthique, au regard des atrocités commises. La question d’une possible reconstruction collective d’un pays se pose également. D’autant plus que cette période mouvementée a dressé son peuple, les uns contre les autres. Ce film montre toutefois des militaires, soumis aux anciens rouages du régime, et dont certains semblent même admirer les attitudes et les propos réactionnaires. D’autres ont carrément des attitudes violentes à leur égard, y compris de s’en prendre physiquement à eux. Le film a le mérite de proposer des personnages tout en nuances, et pas dépeints comme le mal absolu. On retrouve, par exemple, une scène d’un des anciens généraux qui parle avec douceur à son épouse de ses petits-enfants, et un autre qui semble absorbé dans la contemplation d’un luxuriant jardin. Bref, ce sont avant tout des humains, malgré la brutalité de leurs actes, ce qui rend le film d’autant plus perplexe. Un récit à la thématique singulière, malin dans sa manière de nous raconter une facette du Chili contemporain. Une facette aussi méconnue que violente, et qui offre suffisamment de respirations pour ne pas tourner en huis clos suffocant.