Festival du film et forums sur les droits humains (FIFDH) de Genève

Le 22 mars 2023

Les frimas de l’hiver semblent déjà derrière, et c’est enveloppé par le soleil et les odeurs printanières que l’accueillante bâtisse qu’est Pitoeff située à la rue de Carouge, s’est drapée de rouge et de noir pour recevoir la 21ème édition du festival de cinéma et forum sur les droits humains. Cinéastes, professionnels du cinéma, activistes et festvaliers se sont donné rendez-vous en nombre pour assister aux projections, échanges avec les réalisateurs et réalisatrices, et tables rondes. À noter que la plupart des auteurs des films des trois compétitions : focus, fiction, ainsi que documentaires de création, étaient présents pour échanger avec le public en marge des séances.

Cette édition a également été marquée par la succession d’Isabelle Gattiker, et l’arrivée d’Irène Challand -ancienne directrice de l’unité documentaire de la RTS- à la tête de la direction artistique du Festival.


« Le Barrage » 


Présenté à Cannes l’an dernier dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs, ce film réalisé par l’artiste plasticien libanais Ali Cherri nous emmène sur les bords du Nil. Entre fiction, et réel(s), il brosse un portrait fascinant, immersif et poétique d’un ouvrier de briqueterie. Avec en arrière-plan le contexte politique soudanais et les manifestations à l’encontre du régime autoritaire d’Omar El Bashir, ainsi que la condition des travailleurs de l’usine.

Le film propose également au spectateur une série de séquences qui participent de la construction d’un imaginaire métaphorique aussi puissant qu’énigmatique autour de la construction d’une statue de boue par le protagoniste principal. Enfin, une esthétique soignée et travaillée en fait un objet cinématographique remarquable. Les cadrages et la composition des plans, sont à saluer pour leur originalité et leur qualité graphique indéniable.


« A room of my own » 


Un film réalisé par Ioseb « Soso » Biladzé (Otar’s Death, 2021) avec des moyens limités durant le confinement, et tourné principalement en Huis Clos. Il met en scène la rencontre de deux jeunes femmes, dont la trajectoire se croise à Tbilissi. Au hasard des circonstances de la vie, elles deviennent colocataires.

S’enchaînent alors les journées à la maison, de travail pour l’une, et d’attente pour l’autre qui compte emménager prochainement avec son partenaire. Entre ennui, moments de partage et de complicité, elles partagent leur quotidien semi-confiné, dans une ambiance presque insulaire. Elles dérivent, parfois gaiement, entre lassitude, et apéro ou soirée avec des amis de passage dans leur intérieur assez dépouillé et impersonnel. Entre solitude et remous sentimentaux, elles finissent par se rapprocher.

C’est une grande fraîcheur qui s’en dégage, et une folle énergie qui rend ce film si attachant et vivant. Une histoire simple, mais pas simpliste, habilement écrite, et jouée par deux actrices dont la performance porte le film.


Nommer ces crimes 


Parmi la riche programmation, on retrouve deux regards singuliers, et très distincts sur la question des féminicides. Sujet tristement d’actualité, puisque la semaine du FIFDH a été marquée par les révélations toutes plus sordides les unes que les autres sur le féminicide, et les trois infanticides commis à Yverdon.


Avec « My name is happy », Ayşe Toprak (Turquie) & Nick Read (Angleterre) proposent un portrait de famille touchant, immersif et bien construit. Le personnage principal du film : la survivante Mutlu, ancienne candidate de télé-crochet musical, et désormais activiste malgré les stigmates de l’agression à l’arme à feu qu’elle a subie.

Membre d’une fratrie nombreuse -issue d’une famille kurde vivant dans une petite ville turque- qui se montre résolument unie face à l’adversité, et soutenante au quotidien. Ils ont en effet été frappés à deux reprises par ce mal systémique, et souvent létal. Les réalisateurs savent trouver le ton juste, et la distance nécessaire pour faire entendre sa voix, et celle de ses proches et faire passer avant tout un message d’espoir, et de lutte. À noter que ce film important a été récompensé à l’occasion des Impact Days par le prix du scénario.

La table-ronde qui a suivi la projection s’est révélée aussi bien orchestrée, qu’intéressante. Permettant à un public venu en nombre d’avoir accès à la fois à la parole militante de deux des protagonistes : Mutlu et l’une de ses sœurs, et à un discours académique communiqué avec brio et concision par l’historienne française Christelle Taraud, et l’anthropologue argentino-brésilienne Rita Laura Segato.


La réalisatrice néerlandaise Coco Schrijber avec « Look what you made me do » se risque à un parti pris à la fois radical, et risqué. Elle choisit de donner la parole à des survivantes, qui ont tué leur agresseur. En proposant une galerie de portraits, elle fait le choix fort de leur proposer un espace pour raconter leur parcours de vie, leur point de vue sur la relation dans laquelle elles se trouvaient alors, et sur leur geste homicide.

Malgré la thématique abordée, et les témoignages poignants et glaçants – sans compter les images d’un féminicide filmé avec du matériel de vidéo surveillance, monté sans le son – le film permet au spectateur de garder une certaine distance, propice à la réflexion. Cela est probablement à mettre sur le compte d’une trame narrative simple, et au caractère presque clinique de l’exposition des faits évoqués. Un second plan du récit constitué par une série de plans sur des peintures intéressantes du point des représentations des femmes, et du « féminin », participe également de cette dynamique. Ces derniers introduisent des moments contemplatifs -face à du beau cette fois- qui permettent par ailleurs d’élargir la réflexion, et constituent autant de respirations bienvenues.

Les contrastes narratifs et visuels, avec ces touches lumineuses, font du film un documentaire de haute qualité tant sur le fond que sur la forme.


« Zadvengers » 


Pour terminer, nous reviendrons un documentaire au ton décalé qui pose un regard original et sensible sur des activistes à l’ancrage plus local : les ZADistes qui ont occupé colline du Mormont entre l’automne 2020 et le printemps 2021. Ce, afin de défendre ce riche écosystème mis en danger depuis plusieurs décennies par une carrière, et de dénoncer le caractère brutal, et sans merci de cette activité extractive.

Outre le fait de donner à voir que c’est l’entreprise Holcim qui fait abondement usage d’explosifs, le réalisateur cherche, selon ses dires à : humaniser ces activistes. Il les présente animés avant tout par la volonté de construire un monde plus juste, soutenable et bienveillant. Il donne aussi à voir une expérience de vie en collectivité qui relève de l’utopie, et qui s’est révélée être un lieu de bouillonnement artistique. Ce film constitue un geste fort au sens où il permet d’inscrire cette expérience militante dans la mémoire collective. En d’autres mots, et comme l’a mis en lumière très justement Irène Challand au cours de l’échange du réalisateur avec le public : « c’est un document, tout autant qu’un documentaire ».