Entretien avec Vania Aillon, directrice de FILMAR

Le 01 décembre 2021

VANIA AILLON: «DES THEMES REGROUPENT LES CINEMAS D'AMERIQUE LATINE MAIS LES CINEMATOGRAPHIES SONT TRES DIFFERENTES D'UN PAYS A L'AUTRE.»


La 23e édition de FILMAR en América Latina s’est tenue du 19 au 28 novembre à Genève. Rencontre avec sa directrice pour évoquer la spécificité et la programmation de ce festival.


Pour Vania Aillon, les liens entre l’Amérique latine et la Suisse se sont tissés dès sa naissance. Avec des parents qui ont fui la dictature chilienne, Vania Aillon, née en 1974, a grandi à Locarno. À la suite d’études de sociologie, elle poursuit son parcours à la Haute école d’art et de design (HEAD), en cinéma. Multipliant les tournages en tant que réalisatrice et travaillant comme monteuse, elle s’engage aussi dans le domaine culturel. Mêlant à cette passion différentes luttes, elle devient la nouvelle directrice de FILMAR en América Latina en 2017, un festival de films indépendants qui fait la part belle au cinéma politique. Au téléphone, au gré d’un échange plaisant, c’est avec une voix calme, assurée mais se laissant porter que la cheffe d’orchestre a pris le temps de nous répondre.


Après une édition entièrement programmée en ligne, comment vivez-vous le retour du public en salle?

Avec beaucoup de plaisir bien sûr. C’est toujours pour ce public que l’on travaille au final. Pouvoir se rencontrer, communier autour de films et échanger avec des réalisateurs·trices sont pour nous ce qu’il y a de plus important. Hier soir, un mardi, toutes nos salles étaient pleines, chose à laquelle on ne s’attendait pas. Il est toujours difficile de lire le mouvement des spectateurs·trices. Cela n’empêche que l’on s’est quand même appliqués à garder un lien avec un plus grand nombre de spectateurs·trices, en proposant un programme en ligne.


Comment avez-vous effectué le choix des films destinés à un public en ligne ou en salle?

On a choisi de mettre en ligne la rétrospective des films cubains des années 68 et des films de pays émergents, comme la République dominicaine, l’Uruguay ou l’Équateur. C’est une manière d’entrer dans notre programmation autrement tout en proposant des films que l’on n’a pas forcément l’opportunité de voir en dehors de FILMAR.


Est-ce que l’hybridation est vouée à perdurer ou s’agit-il plutôt d’une proposition provisoire?

Difficile de répondre pour le moment. Les festivals se réinventent beaucoup actuellement mais ce sont encore des essais. Le monde de l’image est en train de changer, et c’est vrai que d’avoir des films en ligne nous dit quelque chose sur notre manière de les voir. Pourquoi pas envisager de proposer en ligne des séries ou des formats liés à ce que les gens regardent chez eux.


Comment définiriez-vous le public de FILMAR?

C’est un public assez hétérogène, en fait. Pas mal sont des cinéphiles. D’autres, des gens passionnés par l’Amérique latine en général. Mais il y a aussi des personnes intéressées par les thèmes universels en lien avec des engagements politiques, la cinématographie latino-américaine étant beaucoup rattachée à la politique. Il y a aussi ceux qui, comme moi, sont originaires du Chili mais ont émigré et habitent maintenant ici. Et puis il y a les voyageurs. Voilà un peu tout un mélange.


Vous évoquiez le caractère assez politisé du cinéma d’Amérique latine, est-ce que vous trouvez qu’il s’agit d’une spécificité de ce cinéma?

Oui, je pense que le questionnement des réalisateurs·trices est beaucoup lié au contexte politico-social dans lequel ils évoluent. Ce qui ne les empêche pas d’avoir un langage cinématographique et une connaissance assez poussée de celui-ci. Mais en effet, il y a un questionnement sur comment on s’engage pour une certaine cause, comment on revendique certains droits ou comment penser le monde.


Peut-on parler d’un cinéma d’Amérique du Sud?

Des thèmes regroupent les cinémas d’Amérique latine mais les cinématographies sont très différentes d’un pays à l’autre. La conception du cinéma diffère par exemple entre l’Argentine, la Bolivie ou Cuba. Les références varient, la manière de traiter la narration ou la mise en scène dépend aussi de l’histoire de chaque pays.


Voyez-vous une continuité entre le cinéma d’Amérique latine des années 60 et celui d’aujourd’hui?

On est parti d’un cinéma très militant, engagé, caméra au poing, avec un intérêt sociologique et anthropologique marqué. Mais pour entrer dans des festivals renommés comme Cannes, Venise ou la Berlinale, il a dû évoluer. Le cinéma latino-américain fait maintenant partie de cette scène-là. On a eu des cinéastes tels que Octavio Getino et Fernando Solanas qui se sont beaucoup inspirés de la littérature, avec des propositions oniriques, voire très baroques. On n'est plus dans ce registre-là maintenant.


Les films projetés à FILMAR sont-ils toujours diffusés dans leur pays d’origine?

Une sortie en salle aujourd’hui, ici ou ailleurs, s’avère toujours très compliquée. Il faut trouver des distributeurs, ce qui dépend du cinéma ou de sa puissance dans les pays concernés. Forcément dans les petits pays, avec une économique dédiée au cinéma plus faible, il sera plus difficile de montrer un film chez soi. Certains films sont donc plus vus en Europe, mais comme le cinéaste veut toujours aller vers son public, il trouvera un cheminement pour le montrer chez lui.


Propos recueillis par Sabrina Schwob