Entretien avec Pierre-Yves Walder

Le 06 juillet 2022

Pierre-Yves Walder est depuis cette année le nouveau directeur artistique et général du Neuchâtel International Fantastic Film Festival - ou NIFFF. Puisque le festival bat encore son plein au moment où ces lignes paraissent, il est d’autant plus précieux d’avoir glané ses impressions sur la programmation, sur son rôle et les films de requins.


Pierre-Yves, comment se passe ta nouvelle fonction au NIFFF?

Très bien! Je connaissais déjà le NIFFF puisque j’y ai travaillé comme programmateur pendant quelques années. Je m’occupais un peu de tout mais surtout des rétrospectives et des sections principales. Le concept du festival ayant fait ses preuves, j’ai voulu y retourner. En plus, je connais bien l’équipe et ce sont des gens merveilleux avec qui j’ai beaucoup de plaisir à travailler!


Quel est le film que tu es le plus fier d’avoir programmé?

Ô il y en a plein! Mais j’aime bien mentionner d’habitude It Follows (de David Robert Mitchell, ndlr) en 2014, parce qu’on avait réussi à l’avoir juste après Cannes, où il avait créé le buzz. J’aime beaucoup ce film car il cristallise une certaine tendance du cinéma fantastique de l’époque, surtout américain, à savoir un goût pour la citation des classiques du genre et la mise en abyme. Je suis très content d’avoir pu le montrer au public.


En parlant de public, cette édition est la première en présentiel depuis quelques années.

Oui et c’est un soulagement. On a décidé cette année de ne pas montrer de film en VOD pour appuyer vraiment notre volonté de retrouver un lieu de partage et de communication. Par ailleurs, ce qu’on ne dit pas souvent, c’est que le VOD n’est pas aussi pratique qu’on peut le croire: les droits de diffusion ne sont pas les mêmes, et se complexifient davantage si on veut projeter le même film et en VOD et sur écran. Cela ne veut pas dire que nous ne retournerons jamais à ce format, mais pour cette année, je pense que c’était plus judicieux de le laisser de côté. Un autre facteur qui nous a convaincu de miser sur le présentiel est l’engouement du public pour les séances sur grand écran lors de notre précédente édition au format hybride. Au début les gens hésitaient un peu à venir en salles et puis très vite, on remplissait les jauges de capacité maximale. En outre, cela nous fait davantage plaisir d’avoir nos invités présents physiquement avec nous sur les lieux!


Et justement, vous avez réussi à avoir la légendaire écrivaine Joyce Carol Oates.

Oui! Elle fait partie pour moi des invités qui sont très «NIFFF». J’adore la lire: elle a ce côté très sombre, gothique, mais parallèlement, elle touche à tellement d’autres ambiances, d’autres genres comme le thriller pas forcément fantastique. Cela me fait plaisir de l’avoir au NIFFF car elle incarne cette importance de l’interdisciplinarité. Le fantastique comme genre est en effet protéiforme et nous tenons à mettre ceci en avant dans notre programme. Un des tournants importants dans l’histoire de la programmation est le film Blind d’Eskil Vogt en 2014. C’est un thriller psychologique autour d’une jeune femme qui perd la vue temporairement. Et puis le spectateur rentre dans sa tête: on y découvre son alter ego, joué par une autre actrice, qui essaie de «sortir» dans le réel. Et là le film décolle vraiment. En soi, il ne correspond pas strictement aux codes du genre dit fantastique, mais il est fantastique car il propose une disruption de la réalité quotidienne. Et comme par hasard, le film remporte la même année le Méliès d’argent pour le meilleur film fantastique… Nous avons donc eu le bon flair. Vogt, comme Oates, est toujours à la lisière entre le fantastique et l’étrange.


La soirée Shark Night semble aller dans ce sens…

J’avoue être un fan absolu des films de requins. J’adore ça. Cela fait des années que quand il y a des films de requins, c’est moi le préposé officiel à son visionnage (rires). L’année dernière, j’ai rencontré un des directeurs de la boîte de production française What The Film qui fait beaucoup de films de genre. Il m’a parlé du premier film français de requin, qu’ils étaient en train de produire: L’Année du requin des frères Boukherma avec Marina Foïs. J’étais coi: il me fallait ce film absolument pour l’édition 2022! Et voilà, nous l’avons en première mondiale, rien moins que ça. C’est une parodie comique (mais pas seulement) des Dents de la mer. Il a été tourné dans le sud de la France et a donc ce côté léthargique délicieux. La détective jouée par Foïs va prendre sa retraite mais évidemment la veille, un paddler (et non pas un surfer comme dans l’original) est retrouvé à moitié mangé. Et à partir de là commence l’enquête. On voit que les réalisateurs sont des fans du film de Spielberg et du sous-genre en question. D’ailleurs, nous avions déjà montré leur précédent film en 2021, Teddy, une relecture des films de loup-garou. Au NIFFF, on aime bien avoir des thématiques très archétypiques du cinéma de genre tout en ayant un regard analytique à son sujet. C’est pour cela qu’on aime avoir tant des jeunes cinéastes qui proposent un twist sur des modèles bien éprouvés, que des cinéastes confirmés qui eux ont participé à la création de ces modèles.


Est-ce cela qui a motivé notamment la rétrospective de cette édition, SCREAM QUEER?

Oui voilà. Cela n’est pas du tout une thématique «opportuniste» qui surferait sur une vague de mode, car la thématique existe depuis toujours au cinéma. Cela fait longtemps que nous y pensions. Par ailleurs, il se trouve que des rétrospectives dédiées au cinéma de genre queer sont organisées un peu partout: sur le site de streaming américain Shudder avec une série de documentaires à ce sujet; au festival espagnol SITGES où j’ai rencontré le journaliste Javier Parra, auteur du livre SCREAM QUEER: La representación LGTBIQ+ en el cine de terror. J’ai découvert beaucoup de films grâce à lui et c’est pour ça que pour lui rendre hommage, je lui ai demandé si je pouvais emprunter le titre de son livre pour notre rétrospective. Et il sera là à Neuchâtel! Il viendra présenter des films dont il a parlé dans son livre. Mais il y sera aussi en tant que spectateur, puisqu’il a découvert des films grâce à notre programmation!


Enfin, il y a un élément qui me semble important et nouveau dans la programmation: les jeux vidéo.

Ah, merci pour la question! Jeu vidéo et cinéma de genre ont une longue histoire commune d’adaptation réciproque. Évidemment, une grande partie de la communauté «NIFFF» sont des gamers et il y a donc déjà eu des incursions par le passé au festival. Mais cette année, je voulais marquer un grand coup et mettre les jeux vidéo à l’honneur. Déjà, nous avons développé avec notre partenaire de longue date VNV SA et le studio lausannois Transverse un jeu vidéo pour le NIFFF, NIFFF For Speed, jouable gratuitement en ligne où l’on incarne la voiture de l’affiche. Mais par ailleurs, il y a plusieurs jeus vidéo suisses qui sortent cet été, et pour marquer le coup, je voulais organiser un événement professionnel de rencontres entre les développeurs, helvétiques mais aussi internationaux. Et dans le nouveau lieu du festival, la Villa, trois jeux vidéo suisses récemment sortis seront mis à disposition pour le public.