Entretien avec Julien Chheng

Le 14 décembre 2022

Julien Chheng est un réalisateur d’animation français. Il s’est spécialisé en animation 2D en privilégiant donc le dessin, et a travaillé sur un certain nombre d’œuvres emblématiques de cette veine: Titeuf, le film (2011), Le Chat du Rabbin (2011), Ernest et Célestine (2012), l’épisode Sucker Of Souls de l’anthologie Love, Death & Robots (2014) ainsi que la série Primal (2019 -) de Genndy Tartakovsky, qu’il a également produite. Il connaît bien la série de bandes dessinées pour enfants Ernest et Célestine de Gabrielle Vincent, puisqu’il a également réalisé la série Ernest et Célestine, la collection en 2017 déjà avec Jean-Christophe Roger, qu’il retrouve pour la coréalisation d’Ernest et Célestine - Le voyage en Charabie, second long métrage adapté des aventures du célèbre duo animalier.                                                   


Julien, vous étiez animateur sur le premier Ernest et Célestine, comment en êtes-vous arrivé à coréaliser ce nouveau métrage?

                   

Alors j’ai pour ainsi dire vraiment commencé dans le milieu de l’animation avec ce film, pour l’animation des personnages. Didier Brunner qui a produit le film ainsi que d’autres jalons de l’animation française (Kirikou et la sorcière, Les Triplettes de Belleville, par exemple) a monté une nouvelle société de production Folivari en 2015. C’est à ce moment qu’il a proposé à Jean-Christophe Roger et moi de faire la série télévisée d’Ernest & Célestine. À la fin de cette collaboration, Didier a eu l’idée de faire un second long métrage, en 2017. Mais cela a mis quatre années à se faire, car il a fallu tomber sur un scénario qui nous plaisait vraiment!

                   

L’histoire résonne plutôt bien avec l’ambiance politique actuelle...

                   

C’est ce qui nous a marqués avec cette histoire-là justement. Ça correspondait à notre envie de faire un long métrage d’une BD pour enfants, mais pas pour les enfants. On voulait faire un film pour les enfants que sont les adultes. C’était pareil pour Gabrielle Vincent à son époque, qui était une grande peintre rompue à l’académisme. Elle a choisi de faire des BD pour enfants, mais avec des sujets plutôt adultes, ce qui a pu dérouter voire déplaire à son époque. On a voulu avoir la même démarche et faire un film dans un pays où les enfants ne sont pas consultés pour les décisions qui les concernent, mais aussi sur une crise familiale, avec un fils qui a fui sa patrie, et une fille qui rejoint les rangs de la Résistance... des sujets assez sérieux a priori!

                                                   

D’où est venue l’idée de ce pays imaginaire, la Charabie?

                   

Le charabien est la langue natale d’Ernest, qu’on avait inventée pour la série TV. C’est de là qu’on a tiré le pays la Charabie. Ce pays est absurde, la musique y est bannie, et la seule note autorisée est le «do». On part de cette affaire de violon cassé, mais finalement l’histoire prend de l’envergure. On découvre que ce n’est pas juste la musique qui est interdite, ce sont carrément des voix, des manières de penser que l’on essaie de supprimer. Nous voulions faire un film sur la liberté d’expression.

                   

En faisant revenir Ernest dans son pays d’origine, c’est également sa relation avec Célestine que vous avez mise en danger.

                   

Dans ce film, on voulait pousser cette relation dans ces derniers retranchements. Lors du premier long métrage de 2012, on assistait à la rencontre entre l’ours et la souris. Mais ici, c’est presque la rupture. Et je dis rupture, mais la nature de leur relation a toujours été très floue, déjà dans les albums de Gabrielle Vincent. Son génie est de s’être adressée à l’intelligence des enfants, qui supportent très bien le flou. Ils sont à la fois meilleurs amis du monde, père et fille, mais se comportent de temps en temps comme un vieux couple. C’est ce flou qui en fait un duo très cinégénique.

                   

Propos recueillis par Anthony Bekirov

                   

(Voir aussi la critique du film en p. 17.)