L'édito de Kim Figuerola - Du couloir de la mort au feu des projecteurs

Le 06 mars 2024

Quel est le dénominateur commun entre Robert Badinter et José Giovanni?

Le premier est fils d’immigrés juifs russes qui avaient fui les pogroms, et dont le père, Simon, arrêté et déporté à Drancy sur ordre de Klaus Barbie, est mort dans le camp d’extermination de Sobibór (Pologne). Devenu grand avocat humaniste, il est célèbre pour ses engagements en politique en tant qu’ancien garde des Sceaux durant la présidence de François Mitterrand. Il a défendu plusieurs condamnés à la guillotine, malgré une opinion publique hostile.

Le second, de son vrai nom Joseph Damiani, est fils de Corses aisés. Collaborationniste et membre du Parti populaire français (PPF) du fasciste Jacques Doriot, il a lutté contre la résistance et les réfractaires au Service du travail obligatoire (STO) des Français en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale. Ancien prisonnier du couloir de la mort, accusé d’un triple meurtre et gracié par le président René Coty, il est connu pour ses nombreux polars, sur papier et sur grand écran, durant la France des Trente Glorieuses.

Alors que l’Histoire n’est pas à une contradiction près et que tout les opposait, Robert Badinter et José Giovanni ont été deux fervents défenseurs de l’abolition de la peine de mort. Pour l’avocat pénaliste, loin d’être dissuasive, la peine capitale ne devait pas se poser en termes de technique répressive (expression d’un régime totalitaire et parfois raciste) mais bien de choix moral et de signification politique. Pour l’écrivain-cinéaste, elle est une mécanique impitoyable qui ne pardonne pas. Leur lutte commune s’est donc transmise, l’un, à travers divers ouvrages et procès, dont son remarquable discours à l’Assemblée nationale du 17 septembre 1981, l’autre, avec son film emblématique Deux hommes dans la ville (1973).

Le septième long métrage de Giovanni relate l’impossible réinsertion de Gino Strabliggi (Alain Delon), ancien délinquant sorti de prison, et l’implacable acharnement d’un policier (Michel Bouquet) qui met tout en œuvre pour le faire retomber. Un récit d’hommes manichéen, d’une masculinité bien affichée, dans lequel le personnage principal devient la victime d’une machine procédurière broyeuse. Plus qu’un polar, Deux hommes dans la ville est un film plaidoyer qui dénonce, par la condamnation à mort de Strabliggi, la problématique d’une justice qui tue. Mais bien que la sombre histoire personnelle de Joseph Damiani (alias José Giovanni) semblât prétendument ignorée de Jacques Becker, Claude Sautet, Henri Verneuil ou Jacques Deray (réalisateurs qui ont travaillé avec lui), le cinéma a démontré ici sa capacité à «laver» un passé inavouable.