Dossier spécial LOCARNO SHORTS WEEKS

Le 10 mars 2021

Pour faire suite à l’édito du 18 mars, nous consacrons ici quelques pages au court métrage, format rarement considéré en soi indépendamment des programmes dans lesquels il s’insère d’habitude, que ce soit au sein de sélections spécifiques en festivals ou en amont de la projection de longs métrages dans les salles. Ici, nous proposons de l’appréhender dans une certaine diversité: par l’œuvre de la cinéaste néo-zélandaise Jane Campion (qui en a réalisés en parallèle de ses œuvres, les plus connues), à travers une partie de la sélection de la Locarno Shorts Weeks et par le film de diplôme de Kimyan Flückiger, XX Virus, projeté au Capitole en 2019.



LOCARNO SHORTS WEEKS


Pour la troisième année consécutive, le Locarno Film Festival a dédié son mois de février aux courts métrages en proposant chaque jour (jusqu’au 22 du mois concerné) un nouveau film, disponible une semaine. Pluralité de regards, représentativité géographique et (parfois) originalité formelle étaient au programme de cette sélection, issue de trois catégories (Pardi di domani, Moving Ahead, Open Doors) de l’édition de 2019. D’un homme solitaire que seul l’amour de ses deux chats peut combler (Nachts sind alle Katzen grau), à une discussion à la Hong Sang-soo entre un photographe et son modèle qu’il déguise en grosse peluche de guépard pour parvenir à lui exposer ses sentiments (Friend With Benefits, Without Benefits, Sorayos Prapapan), en passant par les travailleurs de l’ombre dans une grande boucherie, où les porcs suspendus et les machines capturent les bouchers dans un silence glacial, la sélection fait la part belle aux solitudes et aux luttes humaines.


Pour débuter le mois le plus court de l’année, une critique sur une société d’apparence à travers le film Mom’s Movie de la réalisatrice Stella Kyriakopoulos: est enfin arrivé le jour pour une mère de voir sa fille couronnée d’un brevet de bébé nageur. Mais voilà qu’un accident survenu pendant l’examen risque de mettre en péril la vie de l’enfant aussi bien que le smartphone permettant de témoigner de l’exploit accompli par sa fille… L’eau étincelante de la piscine reflète les faux-semblants auxquels est attachée la mère. La présence hors champ de l’enfant à un moment crucial signale que l’obsession de l’image de réussite s’effectue au détriment de l’intérêt de l’enfant. Maîtrise formelle dont l’éclat est quelque peu entaché par un propos caricaturé.


Kub ban (A Long Way Home), du réalisateur laotien Xaisongkham Induangchanthy, appréhende également les relations familiales, mais sous le prisme de l’incompréhension. James, qui a grandi aux Etats-Unis, entreprend un voyage au Laos afin d’y déposer les cendres de son père. Au moment du retour, il est surpris à l’hôtel par la présence de son cousin, chargé par leur grand-mère de le conduire au village. Impatient de rentrer chez lui, indifférent aux autres et à la culture locale, James s’y résout non sans manifester ostensiblement son agacement. Face à tant de mépris, son cousin oppose déférence et soumission, avant la révolte. Rapports de pouvoir et de force s’expriment à travers leurs gestes et comportements, tandis que le silence les accompagne lors d’un long voyage en pirogue les contraignant à une proximité physique.


The Giverny Document (Single Channel) de Ja’Tovia M. Gary constitue la véritable découverte de la sélection. Quatre sources d’images tissent ensemble ce moyen métrage expérimental: des séquences esthétisées saisissent une nature verdoyante, homogène, lisse, figée, dans laquelle s’insèrent une ou deux femmes noires, plus ou moins dévêtues. La référence à Monet dans le titre évoque les lieux dans lesquels s’inscrit cette mise en scène. S’offre alors à nos regards une représentation picturale de la femme noire, sauvage et lascive, véhiculée par l’imaginaire colonial. Une transition s’effectue par des images en négatif de feuilles mortes, dont les nervures sont mises en évidence, révélant ainsi l’envers du décor, la réalité derrière le cliché. Alors, des archives de guerre, radiophoniques et visuelles, avec des Blancs armés ou commettant des bavures policières à l’égard de personnes de couleur alternent avec une troisième source d’image: un micro-trottoir effectué par la cinéaste elle-même. A Harlem, elle interroge des femmes noires, toutes générations confondues: se sentent-elles en sécurité, dans leur corps et dans leur ville? Au fur et à mesure des entretiens, se dessinent des différences générationnelles. Les jeunes femmes ont tendance à se sentir en insécurité tandis que les plus âgées se sentent protégées par leur foi en Dieu, en leur mari, ou en leur propre force.


De l’apparence à la réalité du quotidien, les images finiront par se superposer, faisant imploser cette vision coloniale de la femme noire. En contrepoint à ce cliché une dernière source d’archives: Nina Simone, à son piano, dont la voix sublime les luttes quotidiennes pour plus d’égalité. Ainsi, c’est moins dans le contenu que par sa composition même que The Giverny Document (Single Channel) est une œuvre politique qui impressionne aussi bien par sa maîtrise que son propos.


Sabrina Schwob