Dossier spécial: Hayao Miyazaki

Le 01 novembre 2023

Né à Tokyo en 1941, dans ce qui était encore l’Empire du Japon, Hayao Miyazaki s’intéresse au manga et l’animation dès son plus jeune âge. Il rejoint Toei Animation en 1963, la société incontournable de l’anime à la japonaise. Il y fait ses armes, travaille sur plusieurs projets, notamment aux côtés de son compère de toujours Isao Takahata. Il rejoint Tokyo Movie Shinsha (TMS) en 1979 pour réaliser son premier long métrage Le Château de Cagliostro ainsi que la série télévisée Sherlock Holmes (où le détecte est un chien!) Pendant cette même période, il se met à écrire le manga Nausicaä de la vallée du vent (1982-1994), qu’il adaptera sur grand écran en 1984. En 1985, Miyazaki cofonde avec Takahata le Studio Ghibli, avec lequel il réalisera tous ses films futurs. Princesse Mononoké fut le premier film d’animation à remporter le Prix du meilleur film de l’Académie japonaise et devint, brièvement, le film le plus rentable au Japon après sa sortie en 1997. Le Voyage de Chihiro, sorti en 2001, devint le film japonais le plus rentable de tous les temps et remporta l’Oscar du meilleur long métrage d’animation. Bref, vous l’aurez compris, on ne présente plus son œuvre immortel. À l’occasion de la sortie, sans fanfare, du Garçon et du Héron (voir en pp. 6-7) nous voulions marquer le coup avec, justement, une (petite) fanfare. Un ou une cinéphile nous raconte, dans un court texte personnel, son amour pour l’un des 12 longs métrages de Miyazaki. Émotion garantie.



LE CHATEAU DE CAGLIOSTRO

Rupan sansei: Kariosutoro no shiro - 1979

Avant d’offrir au public ses grands films poétiques devenus célèbres produits par le Studio Ghibli, Hayao Miyazaki a réalisé un premier long métrage d’animation méconnu, qui peut à première vue s’apparenter à un film de commande. En effet, Le Château de Cagliostro, sorti en 1979, ne se déroule pas dans un univers diégétique entièrement imaginé par le cinéaste, mais s’insère dans une série de productions adaptées du manga Lupin III de Kazuhiro Kat?, suivant un personnage présenté comme le descendant du gentleman cambrioleur des romans de Maurice Leblanc. Après avoir produit une série animée et un premier film mettant en vedette Lupin - Edgar en version française -, le studio TMS charge le jeune Miyazaki de réaliser un deuxième long métrage dans la foulée. En découle un récit d’aventures teinté d’humour et d’une grande sensibilité, notamment grâce à l’évolution du personnage d’Edgar proposée par le cinéaste: de cynique et désabusé dans l’œuvre d’origine, il devient enjoué et romantique chez Miyazaki, et parvient à véritablement toucher le spectateur ou la spectatrice par son optimisme communicatif. Le film suit Edgar et ses amusants complices dans une cavale qui les amène à se réfugier entre les murs d’un château dans lequel une princesse est retenue prisonnière par le cruel comte de Cagliostro. Le cambrioleur au grand cœur met alors tout en œuvre pour lui venir en aide, et finit par tomber amoureux de la jeune femme en détresse. Autour de ce récit archétypal, le film construit des décors impressionnants, des personnages secondaires déjantés et une ambiance sonore et musicale très réussie. Il est commun de voir dans le premier film d’un réalisateur des indices de l’œuvre à venir, mais ce constat est particulièrement flagrant dans le cas du Château de Cagliostro, dans les interstices duquel se glissent le regard unique porté sur le monde et la profonde foi en l’humanité qui feront le succès des créations ultérieures de Miyazaki.

Noé Maggetti



NAUSICAÄ DE LA VALLEE DU VENT

Kaze no tani no Naushika - 1984

Je regardais Nausicaä la première fois pendant un été aride avec mes sœurs et ma mère. Je devais avoir 17 ans. Ayant été bouleversée dans ma tendre enfance par les images et le récit de Princesse Mononoké, mon rapport à Nausicaä, c’est avant tout un rapport à Mononoké. Nausicaä, princesse de la vallée du vent, vit au jour le jour sur une terre dévastée d’un futur plus ou moins proche. Ce paysage hostile n’est pas sans rappeler le pronostic de notre planète de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement de 1972 à Stockholm ou encore les images de destructions nucléaires à jamais gravées dans la mémoire du Japon. Nausicaä de la vallée du vent nous décrit un système écologique déréglé à cause d’une catastrophe causée par l’homme et perpétué par une société humaine en manque cruel d’empathie. Cette nature déréglée subsiste sous la forme d’une jungle toxique, où l’air y est irrespirable, et le royaume de Tolmekian, dirigé par la princesse Kushana, avide de retrouver son territoire, ne cesse d’essayer d’éradiquer ces subsistances de formes de vie autre. Le thème de la catastrophe écologique, développée au cours de la filmographie de Hayao Miyazaki, est traité d’une manière assez semblable dans Mononoké. On y retrouve les mêmes tensions, mais ici du point de vue de la princesse, car contrairement à ce que son titre laisse entendre, la princesse de Princesse Mononoké n’est pas l’héroïne du récit. Un autre souvenir fort est ce déclic, cette fascination de la mécanique du trilobite. Ces créatures gigantesques qui habitent la jungle toxique, dont on comprend rapidement qu’elles ne sont pas fondamentalement hostiles, sont animées d’une façon si fascinante de sorte que naquit chez mes sœurs et moi-même une véritable passion pour les exosquelettes de n’importe quel cloporte et créatures similaires qui tombaient sous notre regard. Car oui, si l’empathie pour ses bestioles passe par la narration, le maître de l’animation nous offre avant tout une expérience purement esthétique et sensorielle.

Ani Gabrielyan



LE CHATEAU DANS LE CIEL

Tenkū no shiro Rapyuta - 1986

Pour son premier film produit par les Studios Ghibli (et non, ce n’est pas Nausicaä! Avouez que vous étiez sûr du contraire), Miyazaki voit les choses en grand: des courses-poursuites dans les airs, des paysages stratosphériques, des robots géants dont chaque boulon est dessiné… Aucun compromis sur la qualité. Fable écologique steampunk, ce film, plus encore que Nausicaä, a laissé un impact énorme dans l’imaginaire des Japonais. Miyazaki a très fortement été marqué par la guerre et l’après-guerre au Japon (il est né en 1941), jusque dans ses derniers films, et a fortiori dans ses premiers. Alors que Nausicaä nous présentait un univers qui avait connu l’Apocalypse il y a, environ, une éternité en arrière, Le Château dans le ciel nous pose dans une temporalité qui s’apparente à celle d’un passé proche. C’est un monde encore habité par des hommes, avec des vestiges d’une technologie compréhensible pour le spectateur du 20e siècle. Ces machines sont les épaves d’une guerre qui s’est faite à coups de canons et non pas de lasers. C’est une guerre proche de nous (dans le passé, mais encore aujourd’hui). Impossible de ne pas y voir une réflexion philosophique sur la ruine: que faisons-nous de nos épaves? Le célèbre robot du film est à la fois un ami et une arme de destruction massive. Faire la paix avec la bombe c’est aussi reconnaître qu’elle émane de nous (une opinion très peu sensuelle sur l’Archipel). Que ce que nous créons puisse nous détruire, et réciproquement, voilà l’un des leitmotivs les plus puissants dans la filmographie de Miyazaki. Et son dernier film vient le confirmer… Pour les amateurs de jeux vidéo, sans le royaume céleste de Laputa, nous n’aurions pas de Zelda: Breath Of The Wild, de Tears Of The Kingdom, de Shadow Of The Colossus, ou d’Ico.

Anthony Bekirov



MON VOISIN TOTORO

Tonari no Totoro - 1988

Devenu la mascotte du Studio Ghibli, Totoro est l’ami imaginaire que l’on rêve tous d’avoir à ses côtés pour arpenter les chemins de traverse, et faire face aux aléas de la vie. Mei et Satsuki ont la chance de pouvoir compter sur cette drôle de bestiole aussi imposante que flegmatique pour s’évader de leur nouveau quotidien campagnard marqué l’hospitalisation de leur mère.

Poétique, et d’une rare beauté graphique, cette animation totalement maîtrisée est rythmée par les épopées et des deux jeunes sœurs et de leur ami poilu. Ces dernières ne manqueront pas d’attendrir et de transporter petits et grands dans un monde imaginaire où les esprits de la forêt vivent en parfaite harmonie avec les villageois et la nature, un thème cher à Miyazaki. La musique, elle aussi toute en douceur, complète habilement cet univers où il fait si bon s’immerger et prendre place à bord du fameux chat-bus.

Noémie Baume



KIKI LA PETITE SORCIERE

Majo no takkyūbin - 1989

Si vous demandez à des admirateurs de Miyazaki quel est leur film préféré du maitre japonais, peu d’entre eux vous répondrons Kiki la petite sorcière. Il n’a certes pas la flamboyance scénaristique d’un Chihiro, ni l’éclat des dessins d’un Nausicaä.

Pourtant, Kiki est un des Miyazaki que je regarde le plus régulièrement.

Kiki vient d’avoir 13 ans, et c’est à cet âge-là que les jeunes sorcières partent traditionnellement faire leur apprentissage. Pendant une année, elles doivent apprendre à se débrouiller seule avec leur don, loin de leurs parents, dans le vaste monde.

Un soir d’été, Kiki prend donc sa décision. Après un adieu rapide à ses parents, la petite sorcière s’envole tant bien que mal sur son balai, en compagnie de son chat et de sa petite radio portable. Direction: la mer! Le voyage est périlleux car Kiki maîtrise encore mal son balai, mais elle finit par arriver dans un joli village du littoral. Elle y fait rapidement la rencontre d’un couple de boulangers dont la femme est enceinte. Cela tombe bien, ils disposent d’une petite chambre qui pourra accueillir Kiki le temps qu’elle voudra. En échange, elle pourra aider à la boulangerie. C’est ainsi que Kiki devient livreuse à domicile… en balai!

Au cours de ses aventures, Kiki apprendra à affronter ses peurs: peur du rejet, de l’échec, du regard des autres. Mais elle apprendra surtout à faire confiance à ses plus beaux atouts: son immense cœur et son grand courage. Elle découvrira l’amitié, l’importance de se faire confiance et celle de croire en ses rêves les plus fous.

Kiki la petite sorcière est une histoire simple et touchante du passage à l’adolescence, ce délicat moment où l’on quitte l’enfance, sans être toutefois une adulte. C’est un film qui nous rappelle que le monde est (aussi) doux et bienveillant si on le regarde avec le cœur ouvert, malgré nos différences. J’aime particulièrement cette douceur dans Kiki, c’est ce qui fait que régulièrement, je regarde à nouveau ce film rempli d’une magie normale.

Anne Prunet



PORCO ROSSO

Kurenai no buta - 1992

Porco Rosso est le sixième long métrage d’Hayao Miyazaki. Sorti en 1992 au Japon, il a fallu attendre l’été 1995 pour voir le cochon à l’hydravion rouge débarquer sur les écrans européens. Fils d’un constructeur aéronautique, le réalisateur a premièrement publié en 1989 trois bandes dessinées intitulées L’Ère des hydravions sur lesquelles se base le film. S’il n’est pas parmi les œuvres les plus réputées du maître, le long métrage démontre pourtant, lui aussi, toute la maestria du cinéaste. Cela va sans dire, mais visuellement, tout d’abord, Porco Rosso est une splendeur d’animation. Des îles baignées de soleil survolées par le personnage principal aux panaches d’écume que son avion projette à chaque décollage ou amerrissage, le film est somptueux. Le sommet de cet émerveillement étant sans aucun doute une scène aérienne dans laquelle Marco (comme il se nommait lorsqu’il avait encore une apparence humaine) plane au-dessus d’une mer de nuages et découvre une nuée d’aviateurs morts au combat flottant tous dans la même direction. Magnifiquement onirique, mais également lourd de sens. Car le film, malgré sa beauté plastique et son humour omniprésent, se situe dans les années 1920, soit juste après la Première Guerre mondiale, dans une Italie dominée par le fascisme (Porco Rosso, littéralement porc rouge, n’est rien d’autre que le nom donné aux opposants du régime dictatorial). Dès lors, à la crique paradisiaque où vit Porco vient se confronter la rudesse de l’histoire. Un double niveau de lecture où la bonhomie des pirates de l’air tranche avec l’atrocité des combats et leurs conséquences. Mais si le long métrage est certainement l’une des réalisations du cinéaste les plus ancrées dans le réel, il n’en reste pas moins d’une grande poésie renforçant d’autant plus sa dénonciation de l’absurdité de la guerre et du totalitarisme.

Avec son héros inspiré de Saint-Exupéry et ses personnages hauts en couleur (Fio, l’adolescente intrépide; Gina, la patronne de l’hôtel Adriano; ou encore Curtis, antagoniste pathétique mais finalement touchant), Porco Rosso fait office de chef-d’œuvre oublié dans la filmographie de Miyazaki. Une excellente raison pour le (re)découvrir.

Marvin Ancian



PRINCESSE MONONOKE

Mononoke-Hime - 1997

Le troisième millénaire avait à peine quinze jours et vous-même, tout juste 15 ans. Vous veniez d’entamer très officiellement un cursus en études cinéma, et fréquentiez avec une assiduité redoublée les salles obscures; en ce 21e siècle balbutiant vous n’aviez franchement pas grand-chose à vous mettre sous la rétine, alors pourquoi pas donner sa chance à un film d’animation japonais dont vous parvenaient quelques échos positifs? Soyons honnêtes: vous ne regardiez pas d’un très bon œil l’animation japonaise, qui se résumait pour vous aux sympathiques Chevaliers du Zodiaque, Astro Boy, Goldorak ou encore Dragon Ball Z, soit des histoires manichéennes et des personnages à l’épaisseur psychologique d’une nori. En somme, rien ne vous préparait au choc que serait la projection de Princesse Mononoké.

Ici, rien n’est simple ni univoque: le sanglier-démon qui dévaste le village au début du film est monstre autant que victime; Dame Eboshi, défenseuse des villageois, est la première responsable de la colère des esprits de la nature… Cette part inconsciente du mal en chacun des personnages est symbolisée par la malédiction qui infecte le bras d’Ashitaka - elle le rend plus fort, mais aussi le ronge. Il n’y a ni bien ni mal, il n’y a que des forces qui luttent pour survivre, chacun d’entre elles aussi légitime que l’autre. Cette symbiose forcée est celle du film lui-même, où cohabitent la violence et la bonté, mais aussi celle de la beauté et la profondeur des films de Miyazaki, où jamais rien n’est simple ni univoque.

Il y a un quart de siècle encore, seuls les happy few connaissaient son existence. Mais avec Princesse Mononoké, sorti en Suisse et en France trois ans après le Japon, son nom sera sur toutes les lèvres: près de 100 copies en France et, surtout, plus 700'000 spectateurs au rendez-vous. Miyazaki déboulait en trombe dans le paysage culturel occidental par ce qui reste à ce jour son film le plus long et, peut-être, son chef-d’œuvre.

Rodolphe Bacquet



LE VOYAGE DE CHIHIRO

Sen to Chihiro no Kamikakushi - 2001

Le Voyage de Chihiro, c’est d’abord une terreur d’enfance. La terreur de voir ses parents, a priori garants de la sécurité et de l’harmonie, transformés en cochons. La leçon est bonne à prendre pour tout le cinéma d’horreur: rien n’est plus effrayant et monstrueux que la subversion d’une routine censément réconfortante. Chihiro, c’est l’enfant abandonné, devant faire ses preuves dans un monde à la fois réel et psychique. Réel par la précision presque documentaire de ses rouages et de sa hiérarchie - il y a évidemment une critique faite par Miyazaki de la rationalisation du travail capitaliste. Psychique par les projections mentales fantastiques de sa protagoniste. En quelque sorte, le film porte sur un réel cauchemardé car cauchemardesque. Un Enfer de Dante qui remonte à la surface. Un monde vivant habité par des morts. Ou l’inverse. La beauté de Chihiro réside précisément dans le fait qu’il se situe dans un interstice entre plusieurs réalités. Le lieu où tout se mélange. Nullement étape d’un voyage - le titre français est à ce titre imprécis - car ce dernier se définit par un déplacement. Or, ici, Chihiro fait du surplace, elle erre. Il s’agit donc plutôt d’une métamorphose, par laquelle notre héroïne découvre l’inquiétante étrangeté du monde jusqu’alors cachée. Ce qui est très beau: c’est que cette initiation s’opère à un niveau sensible, par une continuelle mise à sollicitation des sens: le visuel (jeu entre visible et invisible), le goût (la nourriture est très importante dans le film), l’odeur - (effluves de bains, odeur putrescente d’un esprit sale que Chihiro doit baigner) et l’ouïe (bruits du travail à la chaîne avec le chauffagiste, univers sonore généralement très oppressant). C’est d’ailleurs fou de constater à quel point Miyazaki a travaillé son habillage sonore, le film pouvant presque se «visionner» les yeux fermés. Assurément, un chef-d’œuvre sur tous ses aspects.

Tobias Sarrasin



LE CHATEAU AMBULANT

Hauru no ugoku shiro - 2004

Sorti en 2004, Le Château ambulant est le 9e long métrage réalisé par Hayao Miyazaki, qui a alors 63 ans. Il suit Le Voyage de Chihiro qui marque la consécration du Studio Ghibli comme une production de première importance. La pression était de taille. L’histoire est une adaptation libre du livre Howl de Diana Wynne Jones et elle se construit autour de deux pistes narratives principales: la guerre entre deux nations et une histoire, à échelle humaine, entre Sophie, jeune modiste accablée d’un sort qui la rend vieille et Hauru, un magicien qui refuse de servir son pays en tant que soldat et se cache dans son château sur pattes. C’est donc sur fond de conflit armé qu’un récit d’entraide (comme c’est toujours le cas dans les films de Miyazaki) et d’amour (ce qui est moins répandu) prend place entre Sophie et Hauru, qui tentent ensemble de mettre fin au sortilège de Sophie et à la guerre. Violent parfois dans son ton et ses images, Le Château ambulant est très impacté par le contexte sociopolitique de l’époque, la guerre en Irak. De fait, Miyazaki propose un film fondamentalement pacifiste qui dénonce dans son récit et dans ses images l’absurdité des conflits. Les personnages de pouvoir sont avides et aveugles aux pertes humaines, seulement intéressés par l’accroissement de leurs richesses propres. Les autres personnages, pris dans ces rivalités, tentent d’abord de s’y soustraire, puis d’y faire face, dans une perspective antimilitariste et solidaire. De par son sujet, Le Château ambulant est peut-être l’un des films les plus «adultes» de la production Ghibli. Mais la seconde trame narrative de l’amour naissant entre Sophie et Hauru, l’apport des personnages touchants et/ou fantastiques tels que Marco, l’apprenti sorcier ou encore Calcifer, le démon de feu qui se trouve être aussi un très bon ami, permettent aux plus jeunes d’y trouver leur compte. On ne peut pas parler du Château ambulant sans mentionner les paysages incroyables dans lesquels déambule le château d’Hauru et la bande originale composée par Joe Hisaishi, qui font de ce film une claque artistique dont on se souvient longtemps. Ainsi, tous les âges trouveront de quoi s’émerveiller devant cette œuvre qui frappe par sa richesse et sa profondeur et qui s’imprime durablement dans l’imaginaire de son public.

Elise Pierotti



PONYO SUR LA FALAISE

Gake no ue no Ponyo - 2008

Réponse du Studio Ghibli à La Petite Sirène de Disney, Ponyo sur la falaise raconte les aventures de Sosuke, petit garçon de 5 ans, et de Brunehilde (rebaptisée Ponyo), poisson rouge au visage humain dont le rêve est de se transformer définitivement en fillette pour vivre sur terre avec son ami. Mais les plans de cette chimère seront contrecarrés par le père de celle-ci, Fujimoto, un puissant sorcier désirant venger le monde aquatique du mauvais traitement imposé par l’Homme. Car en effet, l’un des sujets au centre de ce très beau film est l’écologie et le rapport entre humain et nature. Si le premier nuit à la dernière par la pollution de l’eau et l’exploitation maritime, les rôles peuvent aussi s’inverser, la nature devenant une menace (les typhons et les tsunamis par trop connus des Japonais) par l’intermédiaire des pouvoirs de Ponyo. Mais la réalisation est loin d’être une fable manichéenne critiquant amèrement les actions humaines. Au contraire, bien que son ouverture offre une séquence sous-marine fantasmagorique absolument sublime, le monde terrestre revêt lui aussi une dimension magique (comme le démontre la scène où la mère de Sosuke prépare des ramen) si on sait le regarder avec des yeux enchantés. Ode aux bonheurs simples, Ponyo sur la falaise magnifie les petites joies, à l’image de son héroïne capable d’agrandir les jouets, et nous invite à redécouvrir l’émerveillement au quotidien. Avec son ambiance généralement bienveillante et sa grande douceur, le film est certes une célébration de la vie, mais il ne laisse pas pour autant oublier que le spectre de la mort rôde en permanence (catastrophes naturelles, maison de retraite) et qu’il faut l’accepter. Une belle illustration d'un memento mori.

Amandine Gachnang



LE VENT SE LEVE

Kaze Tachinu - 2013

Quand le vent se lève on tente de vivre. On aimerait résumer à ce remake d’un poème les apports de Miyazaki à la culture mondiale dans son énième «dernier film». Plus «adulte» peut-être que les longs métrages qui ont fait sa renommée, mais partout dans son œuvre la maturité, comme dirait Nietzsche, de retrouver le sérieux du jeu enfantin. Car de deuil et de guerre, il en est déjà question autour de personnages sollicitant une sensibilité qui ne se limite pas à de l’attention de vitrine: Nausicaä, Mononoké, Sophie, Totoro. Aussi Le Vent se lève explore les accents d’une ambivalente réussite amère, de quoi nous rappeler - entre poésie et géopolitique - la nuance qui s’exprime dans chaque joie. Il n’y a de contentement lisse et confortable que pour qui observe sans une subtile générosité. Le détail qui ronge, ou un monde qui s’effondre parallèlement à une apothéose personnelle, c’est Jirô qui connaît l’amour et la mort au moment où son talent prend son envol. On sait que la tragédie individuelle croise souvent celle du monde, et Miyazaki nous le montre encore une fois, dans la contemplation d’une rêverie qui même entachée de perte ne saurait s’y perdre - car elle anime de traits adroits les drames qui parcourent une tentation de vivre. La logistique des cendres, c’est la maladie qui croise les bombardements, le vent qui les dissémine est le même qui caresse le bucolique entrain de peindre dans une prairie. Le vent qui porte l’avion est aussi celui qui fait s’envoler le chapeau de Jirô, puis le parasol de Nahoko, composant alors la rencontre des personnages. Le vent se lève aussi lorsqu’il répandra l’incendie après le tremblement de terre, comme il est l’air pur que cherchera Nahoko dans le sanatorium de ses derniers souffles. La réussite de Miyazaki est celle d’une œuvre qui fait de la joie et de la contemplation des états complexes: la beauté n’y est riche qu’à condition de percevoir ses éclipses et ce qu’elle survole, en un mot ses sinuosités.

Thibaut Vaillancourt