Des univers hors cadre au Festival Images Vevey

Le 08 octobre 2020

Pendant trois semaines à Vevey, l’image était reine. Immense, couvrant des façades de bâtiments, petite, fixe ou en mouvement, l’image était plurielle. En effet, du 5 au 27 septembre, l’image, omniprésente dans notre quotidien, a sorti ses plus beaux atours pour fasciner les curieuses et les curieux autour de la thématique du hasard. Christian Boltanski évoquait par son installation l’hasardeuse singularité de nos existences, les photographies de Matt Stuart racontaient avec humour l’inattendu au détour des rues londoniennes, Jack Latham soumettait à l’aléatoire d’un algorithme des bouquets de fleurs récoltés pendant le confinement. Cependant, tout n’était pas laissé au hasard et certainement pas la mise en valeur de ces œuvres. Entre les mains du Festival Images, les projets des artistes sont devenus des univers dans lesquels les visiteurs étaient invités à se plonger. La photographie n'a alors rien eu à envier au cinéma dans sa capacité à créer des mondes et raconter des histoires. Bien entourée, elle s'est faite mouvante, profonde, et l'écart entre les deux arts a semblé plus ténu que jamais.


La série Lux in tenebris de Vincent Jendly a particulièrement marqué les esprits de par sa scénographie immersive et stupéfiante. Comme dans une salle de cinéma, on découvre la première partie de l’œuvre dans l’obscurité, accompagnée d’une ambiance sonore. L’éclairage parcimonieux dévoile de magnifiques photographies prises depuis un cargo, sur une mer nocturne agitée. Les quelques touches de lumière semblent émaner des images, tant le contraste entre les sources lumineuses et la pénombre est bien pensé. Le son répétitif des chaînes sur le pont du cargo nous plonge dans cet univers fascinant, tout comme les vidéos en boucle, et l'on se croit, l’espace d’un instant, dans le couloir presque vide de l’un de ces bateaux immenses. Même au plafond, la mer nous domine. Puis soudain, la lumière surprend. C’est la fin du film, le retour à la vie. La lumière d’un phare nous éblouit et les chaînes du pont se révèlent entièrement couvertes de glace, dans la blancheur du matin. Grâce à une scénographie pensée dans ses moindres détails, Vincent Jendly nous emmène en voyage, nous immerge dans un monde d’images et de sensations.


Plus loin, dans le Jardin du Rivage, c’est un autre voyage que nous étions invités à faire. Un voyage hors du temps, suspendu entre deux mondes. La jeune artiste britannique Juno Calypso proposait un séjour déroutant dans un abri antiatomique de luxe construit dans les années 70 par un richissime directeur d’une marque de cosmétique américaine. Encore une fois, loin de l’accrochage neutre et sobre, le Festival Images a choisi de réaménager les anciennes loges souterraines d’un théâtre de plein air. Moquette rose, plantes artificielles et miroirs au plafond accompagnent les autoportraits sensuels, glamours et pour le moins déroutants de l’artiste. C’est encore une fois une invitation à entrer physiquement dans une œuvre et pas seulement par le regard. Quelques marches à descendre, le bruit sourd des enfants sautant sur la scène, à l'extérieur, et l’éclairage cru d’un lieu sans fenêtres, nous ont amenés à appréhender ces photographies autrement.


Les quarante-neuf projets présentés dans le festival n’ont toutefois pas pu bénéficier d’une scénographie pareillement recherchée. Quelques occasions manquées sont à déplorer, comme les salles dédiées à Aladin Borioli et son travail colossal sur les ruches qui semblaient vides en comparaison de la densité de ses recherches. En revanche, la diversité des accrochages avait de quoi impressionner. Si les immenses bâches réparties dans la ville, face à la gare et devant l’Hôtel des Trois Couronnes notamment, font désormais partie de la tradition, certains dispositifs méritent d’être évoqués. Parmi ceux-ci, les cubes affichant les photographies d’Edoardo Delille et Giulia Piermartiri dans le Jardin du Rivage ont fait forte impression. Tels des aquariums au bord du lac, ils racontaient la menace d’une inondation imminente qui pèse sur les habitants des Maldives à cause du réchauffement climatique. Dans ce jardin, tantôt terrain de jeu pour les enfants en maillot de bain, tantôt soumis aux fortes intempéries de fin septembre, l'œuvre des deux artistes italiens a fusionné avec son environnement. A quelques mètres, toujours sur les rives du lac, les panneaux en plexiglas de Penelope Umbrico présentant des images retouchées du Grammont, face au Grammont, ont plu pour leur capacité à capter la lumière et leur façon de se marier au paysage. Celles et ceux qui prolongeaient la promenade jusqu’à la Becque ont pu découvrir le magnifique projet sur la jungle amazonienne de Yann Gross et Arguiñe Escandón dans un environnement de verdure, appelant à lever les yeux pour admirer l’ensemble de l’œuvre.


Il y aurait encore de nombreuses scénographies ingénieuses à évoquer et des projets fascinants à raconter, tant cette édition fut riche et diversifiée. En ouvrant le cadre de l’exposition à toute une ville et plus encore, le Festival Images Vevey a su raconter des histoires autour des images, créer des univers et enrichir le hors champ, faisant rêver petits et grands, experts et amateurs.


Cléa Masserey,

diplômée en Histoire et esthétique du cinéma

et médiatrice culturelle au Festival Images Vevey