L'édito de Anthony Bekirov - De la difficulté de disparaître complètement, et ne plus réapparaître jamais

Le 18 octobre 2023

Ken Loach, Wim Wenders, Martin Scorsese, les has been de The Expendables et la séquelle superfétatoire à L'Exorciste - Dévotion ont deux choses en commun: être dans ce numéro; et persévérer dans l’existence malgré le sceau de la mort par grand âge qui les marque.

Quelle était la leçon finalement du célèbre roman de Mary Shelley Frankenstein ou le Prométhée moderne, paru en 1818? Victor Frankenstein incarne l’homme nostalgique de voir disparaître ce qui a un jour été. On peut arguer que Frankenstein était un scientifique fou et que Mary Shelley a voulu mettre en garde contre les dérives de la technique. Mais je pense plutôt qu’elle a voulu donner une image à cette peur qui nous obsède depuis que nous savons avoir peur: celle de la mort. Frankenstein ne réanime pas sa Créature par hybris intellectuelle, mais pour se convaincre que la mort n’est pas la fin. Elle est le prix à payer pour devenir immortel. Mais ce rêve d’infini n’aura pas sauvé Victor, dont le corps, la chair est venu lui rappeler que la vie doit, un jour, s’arrêter. La Créature, elle, consciente que la mort ne confère de valeur qu’à condition de ne pas lui survivre, décide à la fin du roman de s’immoler par le feu. Comme Don Quichotte décida de mourir pour s’offrir à l’éternité. Le cinéma, parlons-en, est peut-être le médium qui nous apprend le mieux à disparaître. Tout du moins, lorsqu’il était encore argentique. À chaque visionnage, en effet, la pellicule se meurt partiellement, brûlée, rayée, tordue, abîmée par ce nouveau franchissement dans la machine. Elle n’existe qu’à disparaître. Inéluctablement, elle finira par s’être éparpillée entièrement, évaporée dans les chaleurs de sa projection, disparaîtra pour de bon. Autant produire le plus de copies positives possibles, dira-t-on, pour conjurer le risque de perdre à jamais l’œuvre filmique, et peut-être bien qu’un jour ne restera-t-il que des copies positives alors que le négatif original aura déjà péri. Mais ces copies, à leur tour, s’en iront. Resteront seulement la mémoire de l’artiste et celle du spectateur, mémoires d’homme, pour laquelle l’éternité dure aussi longtemps que cela lui prend pour oublier.