38e Festival international du film de Fribourg (FIFF)
Le 10 avril 2024
Le Festival international du film de Fribourg (FIFF) a célébré sa 38e édition du 15 au 24 mars derniers, établissant un nouveau record de fréquentation grâce à ses plus de 48'000 entrées en salle. Au-delà des chiffres, l’événement proposait, comme à son habitude, une vaste programmation de films dont douze faisaient partie de la Compétition internationale. Tour d’horizon des longs métrages découverts dans cette sélection.
Commençons par une déception. Pas cinématographique, mais logistique. Celle de ne pas avoir réussi à couvrir l’ensemble de la Compétition internationale. Ainsi Arillo de hombre muerto (Alejandro Gerber Bicecci, 2024), film mexicain en noir et blanc et Day Tripper, film chinois de Chen Yanqi et, en outre, lauréat du Grand Prix, n’ont pas trouvé de place dans notre calendrier fribourgeois. Ce n’est que partie remise.
Récompensé lui aussi, Cuadrilátero (Daniel Rodríguez Risco, Pérou, 2023) ne nous a néanmoins pas complètement convaincus. Dans ce film présenté en première mondiale, l’équilibre d’une famille de quatre est bouleversé lorsqu’un cinquième membre vient s’y greffer, chacun devant alors mériter sa place dans la structure installée, quitte à se battre bec et ongles. Basé sur une idée intrigante promettant de questionner le modèle de la famille nucléaire, ce carré tourne malheureusement bien vite en rond, sans s’épargner quelques lourdeurs esthétiques et incohérences scénaristiques. Cela ne l’a pourtant pas empêché de se voir attribuer le Prix spécial du Jury et celui du Jury des jeunes COMUNDO.
Le Critic’s Choice Award remis par le Jury de la critique à Inshallah A Boy (Amjad Al Rasheed, Jordanie/Arabie saoudite/Qatar/France/Egypte, 2023) est quant à lui, à nos yeux, amplement mérité. Dans ce film, déjà remarqué à la Semaine de la critique à Cannes et nommé comme représentant de la Jordanie aux Oscars, une mère de famille se bat pour ses droits dans une société injuste dominée par le patriarcat. Un superbe premier long métrage, bouleversant, dont nous aurons l’occasion de vous en reparler très prochainement.
Pour en terminer avec le palmarès, notons encore que The Monk And The Gun (Pawo Choyning Dorji, Bhoutan/France/Taïwan/USA/Hong Kong, 2023) a remporté le Prix du public. Ce film qui narre l’arrivée de la démocratie et de la technologie au Bhoutan au milieu des années 2000 est traité plus en détail dans ce numéro. Enfin La Suprema (Felipe Holguín Caro, Colombie, 2023) a, quant à lui, été primé par le Jury œcuménique. Cette très jolie histoire suivant le parcours de combattante mené par Laureana, une adolescente pugnace, pour parvenir à diffuser un championnat de boxe dans son petit village sans électricité et rayé de la carte, est particulièrement touchante. Non sans défauts narratifs, un premier long métrage très bien mis en scène, plein d’espoir et de bienveillance.
Parmi les diverses nationalités présentes en Compétition internationale, la Chine était à l’honneur avec pas moins de quatre films sélectionnés. Day Tripper, déjà mentionné, mais aussi le captivant Only The River Flows (Wei Shujun, Chine, 2023). Dans la Chine des années 1990, un inspecteur de police mène une enquête sur une série de meurtres, qui, davantage que l’identité du suspect, révélera les secrets enfouis par la communauté d’une petite ville côtière. Dans cet hommage au film noir à l’ambiance très particulière, le grain un peu rugueux que prend l’image en raison de l’utilisation de pellicule 16 mm, reflète l’opacité du récit qui demeure plutôt mystérieux jusqu’à la fin. Mais sa presque non-résolution n’est finalement pas si cruciale, car derrière l’intrigue policière se cache une critique de la société chinoise de l’époque, de la (ré)pression exercée pour entrer dans la norme, qui peut pousser à la folie ou à la mort donnée à soi-même ou aux autres.
Dans Within (Guo Dalu, Chine, 2023), la découverte d’un squelette dans une école primaire désaffectée et le combat d’une mère pour faire accepter sa fille dans un établissement scolaire se lient dans ce chassé-croisé temporel à la conclusion déchirante. Par sa volonté de montrer la dimension rurale et pauvre de la Chine, loin des mégapoles technologiques que l’on associe souvent à ce pays, le film s’appuie sur une problématique qu’on voit rarement traitée: l’abandon des enfants par leurs parents qui quittent la campagne pour tenter de trouver une meilleure situation en ville. Parfois déroutant dans son mélange de temporalités, Within sait toutefois captiver son public avec une ambiance douce-amère et des personnages attachants.
Beaucoup moins convaincant, Who Is Afraid Of Writing Class? (Ma Lanhua, Chine, 2024) a le mérite de susciter la curiosité. Sa combinaison d’animation et de prises de vue réelles intrigue dans un premier temps avant de lasser. Si le discours sur le système éducatif chinois peut faire sourire autant que réfléchir, le processus, enchaînant les effets de style, ne parvient pas à se renouveler suffisamment pour tenir sur l’entièreté d’un long métrage. On en vient à trouver tout cela très caricatural et suranné.
Quittons la Chine pour le désert marocain. Le bien nommé Déserts (Faouzi Bensaïdi, Maroc/France/Allemagne/Belgique, 2023) est un «road trip» dans de magnifiques paysages esseulés. Mehdi et Hamid, deux agents de recouvrement, arpentent les villages du Sud marocain à la recherche de pauvres paysans endettés. Si la tonalité absurde et décalée de la première partie, essentiellement assurée par un duo d’acteurs convaincants, est réjouissante, l’onirisme étrange du dernier acte vient ajouter au film une facette qui était sans doute dispensable.
Températures suffocantes encore. À l’instar d’Inshallah A Boy (voir plus haut), Yellow Bus (Wendy Bednarz, Émirats arabes unis/Jordanie/Inde/USA, 2023) retrace le parcours d’une mère en lutte pour ses droits… et la vérité. Installée avec son mari et ses deux filles dans le golfe Persique, Ananda se retrouve confrontée, le jour où le drame frappe sa famille, au système d’un pays qui n’est pas le sien. Un thriller bien construit qui aborde les notions de dépaysement et de responsabilité, tout en évitant un manichéisme rudimentaire.
Terminons avec A Normal Family (Hur Jin-ho, Corée du Sud, 2023). Alors que deux frères, l’un avocat sans scrupule, l’autre chirurgien au grand cœur, et leurs femmes partagent un repas luxueux, la fille du premier et le fils du deuxième en profitent pour commettre un crime odieux. Les images de ce méfait, filmées par caméra de surveillance, circulant sur toutes les chaînes infos, les parents doivent ainsi faire un choix cornélien… Cette nouvelle adaptation du roman d’Herman Koch aurait pu mieux exploiter son postulat d’origine, opposant les notions de bien et de mal, la moralité à la solidarité et la recherche du profit pécuniaire à la réalisation de bonnes actions. Elle aurait également eu de quoi porter un discours plus cinglant sur la société (pression scolaire, réussite économique et professionnelle, obsession pour la violence), mais ne décolle jamais vraiment d’un premier niveau superficiel.
Marvin Ancian et Amandine Gachnang
Palmarès
- Grand Prix
Day Tripper de Chen Yanqi (Chine).
«Nous avons trouvé dans Day Tripper de Chen Yanqi une formidable chronique sur la Chine d’aujourd’hui. Un pays qui brille par sa modernité, mais paralysé sous l’emprise de son passé. Doté d’une ironie et d’un cynisme délicieux, se situant entre l’univers d’un Jacques Tati ou d’un Roy Andersson, ce premier long métrage du jeune réalisateur nous a paru comme un sans-faute, la signature d’un futur grand auteur de cinéma.»
- Prix spécial du Jury
Cuadrilátero de Daniel Rodríguez Risco (Pérou).
«Cuadrilátero est pour nous une magnifique satire - sociale, philosophique et politique. Nous avons adoré son écriture et son langage minimalistes, rendant chaque détail hautement expressif et juste. L’histoire est orchestrée avec beaucoup de finesse, de style et d’humanité, avec ce qu’elle a d’effrayant parfois! Merci à toute l’équipe pour ce beau tableau vivant.»
- Prix du Public
The Monk and the Gun de Pawo Choyning Dorji (Bhoutan/France/Taiwan/USA/Hong Kong).
- Prix du Jury œcuménique
La Suprema de Felipe Holguín Caro (Colombie).
- Prix du Jury des jeunes COMUNDO
Cuadrilátero de Daniel Rodríguez Risco (Pérou).
- Critic's Choice Award
Inshallah a Boy d’Amjad Al Rasheed (Jordanie/Arabie saoudite/Qatar/France/Egypte).
- Prix du meilleur court métrage international
Mrs. Iran's Husband de Marjan Khosravi (Iran).
«Le film que nous avons choisi de primer est une œuvre qui ouvre les voix. Il explore en huis-clos, sans surplomb ni fatalisme, les conflits matériels et symboliques d’une famille particulière. Nous avons été frappé·es par la droiture de sa mise en scène qui, loin d’enfermer ses personnages dans des rôles de victimes et de bourreaux, parvient à élargir l’horizon.»
- Mention spéciale (Jury courts métrages)
In Zainab's Heaven d’Ali Mehdi (Pakistan/Liban/Canada/Émirats arabes unis).
- Prix du Réseau Cinéma CH
Mrs. Iran's Husband de Marjan Khosravi (Iran).
- Mention spéciale (Réseau Cinéma CH)
The Ghosts You Draw on My Back de Nikola Stojanovi? (Serbie).
- Prix Röstigraben
Feet Fear Freedom de Joris Keller (Suisse).
- Mention spéciale (Jury Röstigraben)
Gavilán de Myra Lou Ana Thiémard (Suisse).
- Prix Visa étranger
Jaima de Francesco Pereira (Suisse).
- Mention spéciale (Prix Visa étranger)
Térébenthine de Camille Anker (Suisse).
«Nous avons souhaité attribuer une mention à un film épuré, brut, dans lequel la vie pousse envers et contre tout à l’endroit où la mort domine. Il donne à voir les conditions d’une communauté oppressée, peu médiatisée, et le fait à la hauteur et au rythme de ses personnages.»