17e édition du Festival cinémas d’Afrique- Lausanne

Le 06 septembre 2023

C’est par une chaleur tropicale que s’est ouvert le festival en ce jeudi soir d’août précédent la rentrée des classes. Le public était au rendez-vous en nombre pour assister à la soirée inaugurale au théâtre de verdure.

Lors de la brève cérémonie d’ouverture, Baba Diop, parrain du festival, a eu ces mots d’une grande justesse au sujet du 7e art: «C’est un voyage immobile».


Simin Zetwal (Regarde les étoiles)


Le film d’ouverture de David Constantin nous a plongés dans des ambiances métissées, et souvent nocturnes de l’île Maurice. Il nous raconte l’histoire d’amour d’un couple mal assorti. Ronaldo, qui rêve d’argent facile se lie un peu malgré lui avec Ajeya, une ouvrière immigrée indienne.

De bonne facture formelle et narrative, avec un zeste d’humour décalé et une jolie photographie, ce film accessible et plaisant a trouvé sa place de choix dans une programmation prometteuse, et ouverte sur la diversité des réalités africaines. À noter qu’il a également fait partie de la programmation du prestigieux Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) en début d’année.


Shimoni


Le premier film de la réalisatrice kenyane Angela Wanjiku Wamai, notamment primé au Festival de cinéma africain de Louxor, mérite largement l’attention qui lui est portée par les professionnels du cinéma. Avec sa mise en scène et son jeu d’acteur sobres et efficaces, elle nous emmène à sa suite dans la vie compliquée, mais libre de Geoffrey, un enseignant tout juste libéré de prison.

Le récit prend son temps, les plans fixes assez graphiques y offrent autant de moments suspendus et une manière habilement choisie de dépeindre les hésitations et les instants de doutes du personnage principal. Ces plans constituent d’agréables respirations contemplatives pour le spectateur, face à un film puissant et bien écrit.


Une histoire du franc CFA, l’argent, la liberté


Katy Léna Ndiaye, journaliste de formation et de profession, vit entre Bruxelles et Dakar, et nous livre un documentaire bien construit et passionnant sur une problématique de nature historique méconnue du grand public. Ce chapitre de l’histoire monétaire internationale conditionne pourtant la vie de millions d’Africains au quotidien. La création de franc CFA, et sa vie trépidante à travers les époques, du Second Empire colonial français, à aujourd’hui, en passant par le temps des indépendances, nous est racontée avec brio et entrain.

La monnaie commune a été créée dans le contexte colonial, pour le servir. L’acte de naissance du franc des «Colonies françaises d’Afrique» remonte à 1939, mais il entre finalement en circulation en 1945 sous la houlette du général de Gaulle, et dans le contexte de l’adhésion de la France aux accords de Bretton Woods. Devenu franc, toujours CFA, c’est désormais pour la «Communauté française d’Afrique» qu’il continue son existence, même si des discussions sont en cours depuis plusieurs années autour de la création d’une potentielle monnaie commune africaine.

S’appuyant d’une part sur des prises de parole d’experts liés à des réalités africaines diverses, au travers d’entretiens bien menés, et d’autre part sur un montage qui rend le tout habilement dynamique, la réalisatrice démontre à la fois un vrai talent de conteuse, et une capacité à amener un sujet d’histoire économique relativement «technique» au public en lui donnant la chance de comprendre toute sa richesse et sa complexité.

Le travail effectué autour des représentations qui circulent autour de la monnaie, et de la participation du

franc CFA à l’imaginaire collectif de ces régions africaines, et au-delà, est une réflexion à la fois intéressante et intelligente qui se trouve très bien amenée, sans pour autant rentrer dans le travers du documentaire aux relents didactiques qui nous dit quoi penser et comment. Ici, les faits sont simplement exposés et commentés dans un ordre chronologique, et les images d’archives données à voir. Leur usage ne relevant pas d’une simple volonté illustrative.


Dora Bouchoucha


Invitée du festival, et productrice depuis 1994, Dora Bouchoucha est une figure majeure de la promotion des cinémas africains à l’international. Elle a dirigé les Journées cinématographiques de Carthage en 2008, 2010 et 2012. Elle est aussi la fondatrice de Nomadis Production qui accompagne des cinéastes d’Afrique du Nord, et du Moyen-Orient. Elle est par ailleurs membre de l’Académie des Oscars, et vice-présidente de l’Institut du monde arabe à Paris.

Au nombre des réalisateurs qui ont bénéficié de son soutien proactif, on compte notamment Mohamed Ben Attia, auteur d’un magnifique premier long métrage: Hedi, un vent de liberté (2016), alors récompensé par le Prix du Meilleur premier à la Berlinale. En 2018, son second opus: Mon cher enfant a été projeté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, et Behind The Mountains a été sélectionné dans la catégorie Orizzonti pour la Mostra de Venise en cours.

C’est avec entrain et enthousiasme qu’elle a mené sa Masterclass en ce samedi après-midi, malgré une chaleur accablante dans le salon bleu du casino de Montbenon. C’est avec une grande aisance saupoudrée d’une bonne touche de franc-parler qu’elle s’est exprimée, sachant captiver son auditoire. Le public venu en nombre l’écouter a pu constater l’importance que cette dernière confère à la transmission.

Elle a notamment expliqué la manière dont, elle travaille étroitement avec ses cinéastes en tant que productrice, en étant présente à leurs côtés dans les différentes étapes de l’écriture au montage, et même parfois à leur demande sur le tournage. Elle a également souligné que ces dernières années, il y avait de plus en plus de fonds accessibles pour les cinémas africains, que ce soit sur le continent lui-même, ou via des coproductions à l’international avec des États européens ou encore des pays du Golf. Concernant plus spécifiquement le contexte tunisien dans lequel elle s’inscrit, elle a insisté sur le fait que jusqu’à la chute de Ben Ali en 2011, il était quasiment impossible de réaliser des films à caractère documentaire. Une production prend depuis son essor. Nomadis Production soutient désormais également ce type de projet cinématographique, comme le très touchant C’était mieux demain (2012) de Hinde Boujemaâ, également projeté dans le cadre de cette rétrospective.


Noémie Baume