L'édito de Serge Molla - Bon livre = bon film ?

Le 31 octobre 2006

Le cinéma s’est toujours nourri de littérature. Un bon film de fiction nécessite un excellent scénario. Il y a quelques mois, Spike Lee avait fait le bon choix avec INSIDE MAN, d’autant plus que sous prétexte de livrer un film à suspense, il offrait bien davantage en abordant par la bande le thème de la shoah, voire celui des relations Noirs-Juifs.

Si beaucoup d’auteurs écrivent directement pour le cinéma, celui-ci succombe aussi à la tentation de mettre en images des œuvres littéraires très connues. Mais là, les pièges abondent, car si le titre attire immédiatement l’attention, les défis à relever ne manquent pas.

A commencer par le fait que chaque lecteur s’est déjà fait son cinéma, parfois même jusqu’à s’identifier à un personnage et à imaginer son timbre de voix, son allure…Alors les séquences proposées par du réalisateur iront-elles dans le même sens ? Ou au contraire le casting opéré dénaturera-t-il l’imaginaire des premiers lecteurs ?

Si le film tiré du fameux roman Le Da Vinci Code a engrangé d’excellentes recettes, c’est plus pour ses qualités promotionnelles que cinématographiques.  Et qu’en sera-t-il pour Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier qui marqua des générations d’adolescents et auquel s’est risqué Jean-Daniel Verhaeghe?

Force est de constater qu’image et parole ne nécessitent pas les mêmes talents et ne conjuguent pas la même grammaire. La fascination de l’image cinématographique tient tant à son caractère quantitatif (en tant que phénomène de masse) qu’à son caractère qualitatif, du fait que ce qui est représenté devient pour le spectateur la vérité.

Alors comment, par exemple, faire passer en images le sens olfactif ? Cette question n’a certainement pas quitté Tom Tykwer, réalisateur du PARFUM, soit l’adaptation du fameux best-seller de Patrick Süskind. Si l’écrivain avait avec grand talent su rendre sensibles ses innombrables lecteurs aux odeurs pestilentielles et aux fragrances les plus subtiles, le cinéaste arriverait-il à générer une émotion analogue ? En optant pour une fidélité quasi absolue au texte du roman, n’est-il pas, malgré de très belles images, passé à côté de son ambitieux projet ?

Quant au GRAND MEAULNES, il livre des images fines et léchées, voire passéistes, d’un temps révolu. Du coup, elle s’est envolée, l’émotion qui gagnait chaque lecteur il y a quelques décennies. Envolée, parce que l’illustration ne remplace pas la traduction.

Le meilleur texte demande toujours à être traduit. Bien sûr, les grands sentiments humains diffèrent peu, mais leur expression change. Le cinéma de qualité ne pourra jamais se contenter de livrer des images, d’illustrer purement et simplement : découpage, rythmes, dialogues, tout doit être repris. La fidélité à une œuvre littéraire ne se joue donc pas dans le respect et la reproduction exacte de chaque élément littéraire, mais bien davantage dans l’émotion et le mouvement que le récit est capable d’inspirer. Il arrive même parfois que les mondes de l’écrivain et du cinéaste se fassent écho. Ainsi en va-t-il pour James Ellroy et Brian de Palma que leurs obsessions et noirceur respectives réunissent avec brio autour du DAHLIA NOIR.

Alors qui dit bonnes feuilles dit bonnes séquences ? Hélas non ! Ron Howard a raté son coup en adaptant les 570 pages de Dan Brown, alors que Clint Eastwood a offert un chef-d’œuvre avec MILLION DOLLAR BABY qui ne tenait qu’en quelques feuillets de F. X. Toole. L’acteur-réalisateur avait bien compris que pour donner de l’épaisseur à ses personnages, il fallait que l’image s’impose comme un langage, au point que les mouvements de caméra en disent finalement plus que les mots.

Serge Molla (CF 535)