L'édito de Sabrina Schwob - Illusion biographique?

Le 06 septembre 2017

Gainsbourg (Vie héroïque) (Joann Sfar); Cloclo (Florent Emilio-Siri); Yves Saint Laurent (Jalil Lespert); Saint Laurent (Bertrand Bonello); Rodin (Jacques Doillon); Marie Curie (Marie Noëlle); Dalida (Lisa Azuelos); Django (Etienne Comar)…

Barbara1bOn se perdrait rapidement à vouloir recenser les biopics français parus en salle depuis le début des années 2010. Pour la plupart, ils sont structurés autour des mêmes motifs: d'un côté un homme de génie dont on accentuera, parfois jusqu'à la caricature, les travers (déséquilibre socio-affectif qui s'étale de l'irritabilité de Claude François à l'alcoolisme de Gainsbourg, en passant par la sexualité débridée de Rodin ou encore le narcissisme d’Yves Saint Laurent); de l'autre une œuvre artistique, une entreprise sociale, politique, scientifique, à laquelle on tente de familiariser le spectateur - qu’il soit expert ou néophyte - en simplifiant parfois à l'excès le processus de création (ainsi verra-t-on Rodin semblant pris d'une inspiration quasi divine, sculpter ses plus belles œuvres ou Gainsbourg composer en une seule nuit, après une folle nuit d'amour avec Brigitte Bardot, deux de ses plus célèbres chansons).

L'homme et l'œuvre: voici le fil directeur, mais peut-être aussi le plus grand danger de ce genre cinématographique de plus en plus prisé. Trop souvent, la complexité du projet esthétique, politique ou scientifique sera comme évacuée, l’œuvre se voyant expliquée à partir de certains épisodes sélectionnés dans la biographie, comme si elle était, d’abord, le produit d'un tempérament artistique, souvent tragique et tourmenté. Pourtant, si l'œuvre se trouve ainsi nivelée aux simples aléas de la vie, c'est l'homme, le génie, le Redoutable1créateur, qui, en retour, est mystifié...

On pardonnera alors le mépris de Rodin à l'égard de sa compagne, les déboires de Gainsbarre et les caprices d'un Yves Saint Laurent: ce sont là les conditions de possibilité de l'œuvre de génie.

Ne pourrait-on toutefois pas envisager une approche du biopic qui ne tende pas à réduire l'œuvre tout en mystifiant l'homme?

Sans être les premiers (Saint Laurent est une merveille sur ce point), Michel Hazanavicius et Mathieu Amalric proposent précisément, par des biais différents et originaux, de déjouer l'illusion explicative de l'œuvre par l'homme. Dans Le Redoutable, cela s'exprime notamment par le recours au pastiche et par le refus de représenter Godard en train de produire son œuvre; dans Barbara, la mise en abyme, la confusion du factuel et du fictionnel rappellent que le film est d’abord une construction du réel, et qu'il ne saurait s'y substituer par une compilation de faits ordonnés selon une logique causale et chrono-logique, enfermant, d’un même mouvement, la vie, la psychologie et l’œuvre des personnes représentées.

Sabrina Schwob avec Thibaud Mettraux