L'édito de Serge Molla - Cinéma ou com

Le 05 mai 2017


Il y a quelques mois, une affiche format mondial annonce The Young Pope. Jude Law y marche fièrement sur les eaux d’un bassin cruciforme au Vatican pour mettre en œuvre sa papauté révolutionnaire.

Il ne s’agit pourtant pas de la publicité pour un nouveau film, mais pour une série signée Paolo Sorrentino et proposéeubi et orbi sur des chaînes câblées.

YoungPope1Au travers de cette figure papale pour le moins décalée, le religieux vient soulever nombre de questions fortes. A commencer par celle de la communication. Ainsi, dans le deuxième épisode, le nouveau pontife déconcerte totalement sa conseillère en com : sa stratégie consistera à ne pas apparaître pour créer le manque et l’interrogation, voire rétablir le sens du mystère! Serait-ce que le cinéma de qualité ne devrait pas se faire à l’image de la com ?

Les grands réalisateurs n’ont cessé de mettre en pratique cet idiome en suggérant plus qu’en ne montrant. Maître Alfred Hitchcock, bien sûr, a développé tout un son art du suspense en l’agrémentant de fausses pistes, la suggestion faisant corps avec le genre d’intrigues qu’il affectionnait. D’autres, tous genres confondus, invitent dans chacun de leurs plans et de leurs séquences à en imaginer le prolongement, et s’interdisent de dupliquer leurs images par un tapis sonore ou des dialogues invasifs,pour éviter tout redoublement et écarter tout surlignage. Du coup, chaque plan gagne en force et en unicité, il contraint à regarder, c’est-à-dire à garder deux fois les images offertespour en discerner le sens. Ce geste prend non seulement au sérieux le spectateur, mais  il exprime un désir évident de le faire participer à la création même de l’œuvre proposée. Les grands d’hier comme d’aujourd’hui ne s’y sont pas trompés : filmer, ce n’est pas « faire son cinéma », ce qui ne conduirait alors qu’à livrer un produit de com !  Non, réaliser un film, c’estassister – selon le mot de Robert Bresson –aux « frémissements des images qui se réveillent ».

Serge Molla