L'édito de - La caméra indiscrète

Le 26 octobre 2014

Tout montrer crûment, le désir, l’obscénité, les perversions, l’amour vache, la violence, de préférence en gros plan: cette tendance du cinéma actuel, que confirme le film de Bertrand Bonello sur Yves Saint Laurent, me navre. Question de générations?

Suis-je totalement ringarde de préférer la scène d’amour qui m’a marquée il y a très longtemps dans Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, où l’on voyait les mains d’Emmanuelle Riva caresser le dos de Eiji Okada, son amoureux japonais? Tout était dit avec pudeur, laissant la place à l’imaginaire du spectateur qui pouvait interpréter la scène selon sa sensibilité et son propre vécu, ses propres émotions. Il y avait de la place pour la poésie.
Aujourd’hui, à force de tout montrer de façon clinique, au nom d’un réalisme douteux, on la tue, cette poésie. On empêche le spectateur de s’approprier des moments forts, on le prive de sa liberté d’interprétation. Comment les jeunes, face à tant d’images crues et réductrices, voire pornographiques qui singent les rapports amoureux, face à cette visibilité sans fard de l’intime, peuvent-ils construire leur vie sentimentale sans zapper les premiers émois, la tendresse alliée à la sensualité, les émotions, tout ce qui rend le sentiment amoureux unique et inoubliable, comment peuvent-ils croire que l’amour est plus qu’un simple corps à corps? A l’évidence, le cinéma reflète la société, il est le témoin d’une époque, d’une façon de vivre les rapports humains. Heureusement qu’il existe encore des cinéastes rêveurs, témoins respectueux de la vie, qui se mettent à nu sans tout mettre à nu!

Nicole Métral