Frère et soeur

Affiche Frère et soeur
Réalisé par Arnaud Desplechin
Titre original Frère et soeur
Pays de production France
Année 2022
Durée
Musique Grégoire Hetzel
Genre Drame
Distributeur Xenix
Acteurs Melvil Poupaud, Patrick Timsit, Marion Cotillard, Golshifteh Farahani, Cosmina Stratan, Max Baissette de Malglaive
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 878

Critique

Après Tromperie, Arnaud Desplechin revient fouler le tapis rouge pour la 75e édition du Festival de Cannes avec ce drame familial intimiste. À quelques jours de sa projection officielle, nous vous livrons une critique en avant-première. Frère et Sœur explore les abysses de la haine, avec une intensité bouleversante.

Un frère et une sœur à l’orée de la cinquantaine. Alice (Marion Cotillard) est actrice, Louis (Melvil Poupaud) est poète. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans et ils évitent tout contact entre eux. Une tragédie, l’accident de leurs parents, les force à retrouver le noyau familial, malgré leur volonté de scission. Leur frère cadet, Fidèle (Benjamin Siksou), sera leur intermédiaire, leur figure de passeur sur les eaux mortifères du Styx. Ce fleuve des enfers signifie littéralement «haïssable» et exprime l’horreur de la mort. Car pour Alice et Louis, il s’agit bien d’une traversée du monde des défunts pour atteindre les rivages de la vie. La genèse du conflit demeure vague, à dessein: Desplechin s’attarde sur ce voyage jusqu’à ce que la lumière perce les limbes.

Avec Frère et Sœur, le cinéaste français part de cette réalité familiale anodine, voire banale, pour sonder des figures mythiques, archaïques. Dans la famille Vuillard, le père se nomme «Abel». Avec une telle référence, l’on franchit volontiers la limite du drame familial pour explorer la genèse de la pulsion de mort chez l’humain. Depuis le temps, plus d’une vingtaine d’année de conflit, Alice et Louis sont devenus captifs de cette haine immémoriale. Sur son lit d’hôpital, Abel dit d’ailleurs à sa fille qu’elle est en prison et qu’il faut qu’elle en sorte. Arnaud Desplechin tend un miroir à une humanité empêtrée dans l’envie, l’un de ces sept péchés capitaux, qui est d’abord souffrance, douleur pure. Un péché sans plaisir, en contradiction en cela avec les autres vices. Et ce poison ronge les personnes de l’intérieur. La force du regard dans ce long métrage prend alors tout son sens: Alice et Louis ne peuvent se regarder dans les yeux, comme si une reconnaissance mutuelle de leur vanité leur était insupportable et qu’ils craignaient de se confronter à la vacuité de leur propre existence, tant ils se sont nourris et construits de la haine de l’autre.

Louis et Alice se sont aimés, mais une accumulation de rancœur a grippé le mécanisme de leur relation. Il ne s’agit pas d’expliquer les raisons, mais plutôt de se débarrasser de ce sentiment violent pour revenir à la vie. À rester trop longtemps sur la barque du ressentiment, à chercher la généalogie de la haine, on risque de s’y noyer. Le montage de Frère et Sœur, avec ces flash-back très serrés, illustre bien ce sentiment d’étouffement. Le passé ne cesse de hanter les protagonistes, comme si les souvenirs et les remords leur sautaient au visage. Alice et Louis sont assaillis par ces réminiscences, mais se retrouvent démunis et incapables d’avancer par-delà l’échec de leur relation.

Comment absoudre la haine? Avec Frère et Sœur, le cinéaste français déploie le talent de Melvil Poupaud et Marion Cotillard pour conjurer la vacuité de cette violence, si proche de l’amour. Et il montre que le cinéma peut agir comme une conjuration contre la mort.

Noémie Desarzens

Appréciations

Nom Notes
Noémie Desarzens 16