Kajillionaire

Affiche Kajillionaire
Réalisé par Miranda July
Titre original Kajillionaire
Pays de production U.S.A.
Année 2020
Durée
Genre Comédie, Drame
Distributeur Universal
Acteurs Evan Rachel Wood, Richard Jenkins, Mark Ivanir, Gina Rodriguez, Debra Winger, Diana Maria Riva
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 846

Critique

Le dernier film de Miranda July, Kajillionaire, fait usage d’une esthétique singulière pour traiter du quotidien d’une famille américaine vivant dans la pauvreté la plus totale, sur fond de conflits entre parents et enfant. Cette critique sociale au ton étrange et à la forme rafraîchissante est l’un des films marquants de 2020.

L’on y suit Old Dolio, une adulte de 27 ans qui passe l’intégralité de son temps avec ses parents. En situation de pauvreté extrême, la petite famille fait de son mieux pour subvenir à ses besoins en essayant d’exploiter les failles du système au maximum. Le trio passe alors ses journées à récolter autant d’argent que possible, en revendant, par exemple, des colis qu’ils volent dans des bureaux de poste. Lors d’un voyage à New York - voyage qu’ils ont gagné grâce à un concours et qu’ils effectuent uniquement pour tenter d’arnaquer la compagnie aérienne - les deux parents rencontreront Melanie, jeune Portoricaine qui les accompagnera dans leurs péripéties tout en prenant conscience de la relation malsaine qui unit Dolio à ses parents.

Effectivement, depuis sa naissance, Dolio n’a été éduquée que par le vol et l’escroquerie: si elle sait écrire, c’est uniquement parce qu’elle a appris à recopier les signatures de personnes aisées pour que ses parents puissent encaisser des chèques à leur nom. L’un des drames du film est là. Pour ses parents - aux rêves déchus, aigris et désabusés face à cette société dont ils ne connaissent que la part sombre - notre protagoniste n’est qu’un outil, un moyen, jamais une fin. Pire encore, au sein de la famille, la tendresse, l’affection pour autrui, sont considérées comme des valeurs bourgeoises, ridicules, fausses.

Dolio souffre alors d’une marginalisation à plusieurs niveaux: étrangère à toute forme de vie sociale hors de sa famille, elle est aussi, et surtout, étrangère à elle-même. Ce dernier fait se traduit dans le lien que Dolio entretient avec son corps. En permanence caché sous son très large jogging et sous sa longue chevelure, son corps recroquevillé exprime tout le malaise qu’elle ressent, tout l’amour qu’elle aimerait recevoir mais qu’elle ne reçoit pas, toutes les choses qu’elle aimerait pouvoir dire, faire, voir, mais qu’elle doit réprimer. Quand le personnage principal fait usage d’un bon pour un massage - qu’elle n’a pas réussi à échanger contre de l’argent - l’on constate alors que la masseuse ne peut toucher notre protagoniste sans qu’elle ait mal ou qu’elle soit embarrassée. Il faut alors souligner l’excellente performance d’Evan Rachel Wood - méconnaissable dans ce rôle à contre-emploi - qui campe le personnage à la perfection.

La mise en scène de Miranda July rend compte avec précision et créativité du quotidien étrange, extraordinaire, terrible de Dolio. La combinaison judicieuse d’objectifs grand angle liés au format cinémascope participe à la création d’une atmosphère froide et embarrassante. Ce monde semble artificiel, simultanément trop plein et trop vide. Trop plein de biens matériels inutiles et pourtant déifiés, trop vide de sentiments candides. Si la réalisatrice rend compte de ce premier sentiment à la perfection, la forme du métrage ne parvient à rendre compte de l’évolution psychologique que suivra Dolio que partiellement. Aidée par Melanie, qui affirme que «c’est dans les choses bêtes qu’une grande partie du bonheur se trouve», la protagoniste sera menée à trouver, enfin, des endroits où la tendresse réside encore. Bien que, pour signifier cette prise de conscience, l’image imprime plus de mouvement - notamment grâce à l’apparition soudaine de la caméra épaule - les couleurs restent ternes, d’un vert éreinté. L’évolution ne se ressent alors pas assez à l’écran: cette joie nouvelle nous pénètre par le visage des acteurs mais que trop peu par la forme filmique.

Hormis ce détail, Kajillionaire reste un film aussi fascinant que déconcertant: il rend sensible à la mort du sentiment dans un monde où les populations pauvres sont contraintes d’investir tout leur temps dans la poursuite du gain matériel, ne pouvant alors plus chercher à trouver le bonheur.

Colin Schwab

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